Voyages de Napoléon Ier en Savoie
PREAMBULE
Si les trois voyages que fit Napoléon Ier en Savoie ont toujours été connus des historiens, il nous en manquait par contre les détails quotidiens. Jacques Lovie avait pourtant déjà révélé, en 1969, dans un volume des Mémoires et documents (tome LXXXII), une relation des journées d’avril 1805 à travers la lettre d’un collaborateur du préfet Verneilh, M. Bourdeau, et le rapport de Georges-Marie Raymond, directeur de l’Ecole Secondaire. Or, dans un courriel du 30 mars 2007, Monsieur Xavier du Vachat nous proposait un article inédit de son arrière-grand-père, Jules Masse, membre éminent de la S S H A et auteur d’une Histoire de l’ancienne Chautagne qui fait toujours autorité. Cet article, que nous publions quasi intégralement, concernait le premier et le troisième voyage de Napoléon en Savoie. Restait le second, celui de 1800, bref mais bien réel : nous l’avons évoqué avec le peu que nous savons. Peut-être cela apportera-t-il aussi, de la part de nos lecteurs, quelques compléments ignorés. En tout cas, des toponymes persistent : des chemins Napoléon existent, à Montmélian, au col du Cucheron, après Épierre, à Termignon ; on appelle Chapeau de Napoléon le synclinal de l’Arclusaz à Saint-Pierre-d’Albigny ; un vieux pont ruiné à Séez - où il n’est jamais passé – est dit « pont Napoléon » et on employait en Maurienne l’expression « voyager à la Napoléon » pour signifier qu’on file sans s’arrêter … Là aussi, merci de nous signaler les lieux portant le même vocable.
Toute notre gratitude à Monsieur Xavier du Vachat.
VOYAGE DE L’AN VI (1797)
Jules MASSE
Le général Bonaparte, après avoir signé le traité de Campo-Formio (17 octobre 1797) qui mettait fin à la campagne d’Italie devait se rendre à Rastadt pour ratifier les clauses de ce traité avec Autrichiens. A cet effet il devait traverser le Piémont, la Savoie et la Suisse. Quoiqu’il ne voyageât pas officiellement, il fut décidé qu’une magnifique réception lui serait faite à son passage à Chambéry.
C’est le 25 brumaire (15 novembre 1797) que commença à circuler le bruit de sa prochaine arrivée ; personne ne savait si ce bruit était fondé et un grand nombre d’habitants et de fonctionnaires se rendirent au château auprès des administrateurs du département pour savoir si la nouvelle était exacte. Ni le commissaire du Directoire, ni les autres membres de l’administration n’avaient été avisés ; ils envoyèrent des agents auprès du directeur des postes pour savoir s’il avait été invité à fournir des relais. Ce fonctionnaire déclara qu’il avait été averti du prochain passage du général en chef de l’armée d’Italie, mais qu’il n’en connaissait pas le jour.
Afin de n’être pas surprises les autorités firent placer sur la route de Montmélian à Chambéry des postes d’artilleurs qui, dès que le général serait à Montmélian, devaient annoncer son passage en tirant le canon.
Les préparatifs de la réception furent aussitôt commencés ; tous les travaux ordinaires furent immédiatement suspendus et tous les habitants se mirent à tresser des guirlandes ou à tracer des inscriptions élogieuses.
Le 26 brumaire l’administration entreprit de faire élever un arc de triomphe à l’entrée du faubourg Jean-Jacques Rousseau aujourd’hui faubourg Montmélian. Ce même jour arrivèrent à Chambéry 38 cavaliers de la garde nationale de Grenoble qui avaient été envoyés par les autorités de cette ville pour fêter le général.
Au lendemain tous les préparatifs étaient terminés. L’arc de triomphe avait sa verdure, sa voûte était supportée de chaque côté par quatre colonnes dans le centre desquelles se trouvaient suspendus deux trophées représentant la Victoire et la Paix. Au-dessus de l’arc se détachait une statue représentant la Renommée avec cette inscription :
« A Bonaparte : de ce jeune héros admirons le courage, il humilia Rome, il détruira Carthage. »
Depuis l’arc de triomphe jusqu’à l’autre extrémité de la ville se succédaient de nombreuses guirlandes auxquelles des inscriptions étaient attachées. Elles célébraient non seulement les victoires de l’Armée d’Italie, mais aussi le coup d’Etat du 18 fructidor.
Malheureusement, dans la nuit du 27 au 28 brumaire, une grande pluie mit à mal une grande partie des préparatifs. Les inscriptions furent détruites, les guirlandes abattues, mais les habitants ne se découragèrent point et passèrent une grande partie de la journée du 28 à réparer les dégâts. Dans la soirée du même jour tout avait été remis en place. On avait mis à ce travail une hâte extraordinaire car certains renseignements faisaient croire que le général arriverait le 29 brumaire, mais la journée se passa dans une vaine attente.
Le lendemain 30, à midi, un coup de canon retentit, aussitôt un rappel général fut battu dans toutes les rues. Les troupes de la garnison prirent les armes, les autorités et les fonctionnaires se rassemblèrent à l’Hôtel de Ville puis, pour gagner l’arc de triomphe, se formèrent en cortège précédé d’un corps de musiciens, d’une foule immense, femmes, enfants, vieillards, tous accourus. Deux heures se passèrent dans l’attente et, au bout de ce temps, on apprit que ce qu’on avait pris pour un coup de canon était simplement le jeu d’une mine ; il fallut se séparer.
C’est seulement à six heures et demie du soir que fut donné un nouveau signal, qui cette fois était le vrai. La ville fut spontanément illuminée, le cortège reformé et de tous côtés se font entendre les cris de « Vive la République, Vive Bonaparte ».
La chaise de poste amenant le général paraît enfin. Elle se trouve immédiatement entourée par les autorités, Bonaparte est conduit sous l’arc de triomphe et le Président de l’Administration départementale [Emery] prononce le discours qui suit :
« Héros dont le génie est devenu celui de la Liberté, reçois nos félicitations et nos vœux reconnaissants ; de deux grandes républiques, l’une te doit son salut et l’autre sa naissance ; bientôt l’histoire te proclamera le pacificateur de l’Europe, le bienfaiteur de l’humanité. Heureux département qui te reçoit, Bonaparte, le premier sur son sol ; fiers de cet avantage inappréciable, les habitants du Mont-Blanc marqueront soigneusement dans leurs fastes cette auguste journée. Permets que je te donne en leur nom l’accolade fraternelle. »
Des applaudissements frénétiques accueillirent ces paroles. Le cortège se mit aussitôt en marche pendant que les musiciens jouaient : « Où peut-on être plus heureux qu’au sein de sa famille ? ». Des vivats, des applaudissements, des bravos accompagnaient partout le général. Il arriva à l’hôtel qui lui avait été préparé et à l’entrée duquel l’attendait une garde d’honneur. Les membres de l’administration départementale et les officiers municipaux entrèrent avec Bonaparte dans son appartement où avait lieu le repas. Il reçut dans cet hôtel les officiers de la garnison et de la garde nationale de Chambéry, ainsi que les cavaliers de la garde nationale de Grenoble et une députation de femmes et d’enfants qui lui apporta une couronne civique. Il parut ensuite au balcon de l’hôtel et fut acclamé par la foule.
Le général dîna ensuite entre deux soldats blessés de l’Armée d’Italie que les autorités avaient conviés pour le recevoir. A la même table prirent place les autorités. Cette table était ornée d’une pyramide surmontée d’un drapeau ; les différentes faces de la pyramide portaient le nom des batailles de l’Armée d’Italie. Une inscription placée dans la salle était ainsi conçue : « A Bonaparte à Londres », car en apprenant la paix avec l’Autriche, le Directoire avait nommé le vainqueur de l’Autriche au commandement d’une armée destinée à vaincre l’Angleterre.
De nombreux toasts furent portés :
« Aux héros morts pour la cause de la liberté, Au fondateur de la république Cisalpine, Au héros italique, Aux armées françaises, Au Directoire exécutif, Au 18 fructidor ».
Néanmoins le repas fut très bref. Bonaparte, qui était pressé de continuer sa route, n’avait que peu de temps à rester dans Chambéry. Il employa les instants qui suivirent le dîner à donner quelques ordres puis se remit en route.
Son départ donna lieu comme son arrivée à de nombreuses acclamations. Malgré l’heure avancée de la nuit, les habitants se pressaient sur son chemin, entourant sa voiture, qui plusieurs fois dut s’arrêter tant la foule était immense.
Le lendemain, 1er frimaire, l’Administration départementale du Mont-Blanc se réunit aux personnes d’Emery, Président, Chastel, Dufresne, et Bavouz. Sur la requête de Garin, commissaire du Directoire exécutif, il fut dressé un procès-verbal détaillé de tout ce qui s’était passé et une copie fut envoyée au général Bonaparte, comme hommage des habitants de Chambéry.
A la même séance, invitation fut faite aux artistes du département de présenter, dans le décadi, un projet pour la construction d’un monument en granit des carrières de Savoie, destiné à perpétuer le souvenir du passage à Chambéry du général de l’Armée d’Italie.
Une souscription volontaire serait proposée aux habitants pour les frais de construction de ce monument. Enfin le procès-verbal de la réception devait être imprimé au nombre de trois mille exemplaires pour être transmis au Directoire, aux ministres, aux administrations centrales de la République, à tous les corps constitués et fonctionnaires du département.
L’impression du procès-verbal eut lieu effectivement, mais le projet de monument ne paraît pas avoir été mis à exécution.
VOYAGE DE L’AN VIII : LE RETOUR de MARENGO (1800)
Au lendemain de la victoire, soit le 15 juin 1800, Bonaparte reçoit les plénipotentiaires autrichiens et le 17 gagne Milan où il reste jusqu’au 24 pour rejoindre, le 26, Turin par Verceil afin de franchir au plus vite le Mont-Cenis. C’est ainsi que, le 27 juin, il fait étape à Saint-Jean de Maurienne pour passer la nuit à l’hôtel de Jérusalem, actuellement au 72 de l’avenue du Mont-Cenis. Là, dans sa politique de réconciliation, il fait libérer deux prêtres réfractaires mauriennais, toujours détenus, en exigeant d’eux une promesse de soumission au gouvernement. C’est sans s’arrêter, sauf pour relayer les chevaux, qu’il traverse Chambéry le lendemain et sort de la Savoie à Pont-de-Beauvoisin en direction de Lyon.
VOYAGE ET SEJOUR DE L’AN XIII (1805) 1/3
Le préfet Saunay, qui vient de quitter la Savoie, avise de Paris, le 13 pluviose an XIII ( 3 février 1805), le secrétaire général Joseph Palluel que l’Empereur doit séjourner à Chambéry en gagnant Milan où il doit être couronné roi d’Italie. Des courriers successifs confirment bientôt que Napoléon et Joséphine arriveront dans la ville le 26 germinal (17 avril 1805) pour y demeurer deux jours entiers avant de gagner Lanslebourg.
Tout un aréopage accompagne Leurs Majestés, des ministres, des généraux, Bessières, Duroc, Caulaincourt, des dames du palais, des aides de camp, chambellans, secrétaires, écuyers, un aumônier, un chirurgien… en tout 32 personnalités, plus 83 personnes de service, maîtres d’hôtel, huissiers, valets et femmes de chambre, coiffeurs, cuisiniers, coureurs, piquiers …
Napoléon ayant échappé à des attentats fomentés par des royalistes, les sous-préfets, maires, gendarmes, magistrats de sûreté sont invités à redoubler de zèle et de sévérité dans l’exécution de la loi des passeports. Les gardes nationaux doivent rechercher et arrêter les malfaiteurs, assurer des corps de garde le long de la route empruntée.
Mais, après ces mesures de police, la chose la plus importante est de s’occuper du logement des souverains et de leur suite. C’est difficile. L’ancien château des Ducs de Savoie avait été incendié en l’an VII ; il n’y restait plus qu’un modeste logement occupé par le Préfet et où il était impossible de recevoir l’Empereur et sa suite. Mais les habitants de Chambéry s’empressèrent de mettre leurs logements à la disposition de l’administration ; ils étaient extrêmement jaloux de saisir cette circonstance pour prouver leur dévouement et leur amour à leur souverain.
La plus belle demeure de Chambéry était l’hôtel de Bellegarde. Cet immeuble avait quinze croisées de façade et trois étages. Il avait été vendu pendant la Révolution et appartenait maintenant à six propriétaires qui étaient Guillermin, Marc Fortis, Dimier, Gojon, Bellemin et Puget ; ces familles consentaient à l’évacuer et à le mettre à la disposition du souverain. On se hâta d’y faire des réparations qui s’élevèrent à 2 393,96 francs. On y logea l’Empereur, l’Impératrice, le colonel général de la garde, le secrétaire particulier de l’Empereur, le premier écuyer de l’Impératrice, la dame d’honneur Madame Larochefoucault, la dame du palais Madame d’Alberg, deux femmes de chambre, un maître d’hôtel et deux valets de chambre.
Après cela il restait encore 140 personnes de la suite qu’il fallait installer chez l’habitant. Le Préfet fit faire le recensement de toutes les chambres disponibles et des meubles qui s’y trouvaient. Les lits furent divisés en cinq catégories, les très bons, les bons, les médiocres, les mauvais et les pires. A cette époque les logements et les mobiliers de Chambéry n’étaient pas très luxueux. On ne trouve que cinq lits très bons. Un chez M. La Pérouse, rue Jean-Jacques, un autre chez Monsieur d’Oncieu de la Bâtie, place de la Liberté, un chez M Trivelly, rue Turpin, un chez Mermoz, ancien député, rue Couverte, un chez Clerc, rentier, rue de la Paix. Douze lits de la seconde catégorie (bons), vinrent quatre lits médiocres, treize lits mauvais. Les autres furent considérés comme les pires.
Le logement fut réparti de la manière suivante. On logea le ministre de l’Intérieur à la Préfecture, le ministre secrétaire d’Etat chez M. La Serraz, le maréchal Moncey chez M. Trivelly, Bigot-Préameneu chez l’ancien député Mermoz, le grand maréchal Duroc, maison de Châteauneuf, les adjoints au grand maréchal l’un chez Mme Parent, l’autre chez M. Dumas, greffier, rue Croix d’Or, le grand écuyer de l’Empereur chez M. La Pérouse, le général Caffarelli chez M. d’Oncieu qui l’avait réclamé en qualité de parent, le général Le Marrois chez M. Duparc, l’évêque de Poitiers à l’évêché. Les deux préfets du palais furent logés chez M. Clerc et M. Favier, Mme Serent chez M. Perrin, Mme Chamousset, les quatre chambellans chez M. M. Palluel, Gayme Joseph, Lyonnaz, Ménabréa, deux préfets du palais chez Mme Girerd et M. Amphoux.
Il fallut s’occuper non seulement des répartitions du logement mais encore du mobilier. Dans une des pièces du palais étaient entreposés quelques-uns des produits de l’industrie de la Savoie : des gazes de Chambéry de la fabrique de M. Dupuy ; des toiles des Echelles, des cotons et des basins de la fabrique de M. Dupert d’Annecy ; des bouteilles de la fabrique de M. Colomb, des aigles en vitriol de la fabrique de cuivre de M. Bayle d’Annecy ; un déjeuner en terre de pipe de la fabrique de M Burnod de la même ville ; des chapeaux de la fabrique de M. Chaumoncel ; des tiges de bottes de M. Balleydier.
Dans le cabinet de l’Empereur était placé le superbe relief du Mont-Blanc déposé à la bibliothèque publique, il était posé sur un socle en granit sur lequel étaient placées ces inscriptions :
« Sur ses bases éternelles
Le Mont-Blanc est moins assuré
Que dans nos âmes fidèles
De tes lois l’empire sacré. »
Au sommet du Mont-Blanc était un arc de triomphe d’un très beau style composé et dessiné par Massotty. Les trophées et les groupes de figures rappelaient les victoires des armées d’Orient et d’Italie. On lisait au bas : « Sic virtus evehit ardens ».
Dans une des pièces de l’appartement de S.M l’Impératrice étaient disposées diverses pièces de gaze de la fabrique de M. Dupuy. On y avait également placé dans une très grande cage des coqs de bruyère, des perdrix rouges mâles et femelles très bien prisées ; la cage était surmontée d’un petit pavillon avec une devise : « ils seront heureux ». On avait également ménagé une place dans un vestibule du palais à un très bel aigle pris sur le Mont-Blanc.
Le premier de l’hôtel devait être illuminé de flambeaux. L’illumination de la maison d’en face présentait un ordre suivi d’architecture. Dans le centre d’un grand cartel surmonté de l’aigle impérial et du chiffre de LL.MM on lisait les vers suivants :
« Reconnaissance, amour, victoire
Nous rendirent tous leurs sujets
Ils règnent au sein de la gloire
Par leurs vertus et leurs bienfaits. »
On prit aussi des mesures pour loger les gens de service chez les particuliers ou les logements habituels. La question du logement n’était pas seule. Il fallait aussi s’occuper des moyens de transport et il était nécessaire d’avoir des chevaux à tous les relais. Le nombre de voitures qui devaient circuler était effrayant. Il y avait deux berlines à 8 chevaux, 11 berlines à 6 chevaux, 2 gondoles, une calèche, 3 guinguettes, 2 guimbardes, un fourgon et un velocifère. Pour tous ces chars il était nécessaire d’avoir au moins 400 chevaux. Le service des postes ne pouvait en fournir autant, il était nécessaire de recourir à des réquisitions et, même en usant de ce moyen, on ne pouvait pas trouver assez de chevaux dans le département du Mont-Blanc, où la culture se faisait à l’aide de bœufs et les transports au moyen de mulets. Il fut décidé que 92 chevaux seraient mis en réquisition dans le département de l’Isère et 92 dans le département du Léman. Les 184 joints à ceux qu’on pouvait trouver dans le département du Mont-Blanc formèrent un nombre suffisant.
Il restait à organiser le service des fêtes et surtout le bal que la ville de Chambéry se proposait d’offrir au souverain. Pour cela une commission fut établie, elle était composée de: M.M. Filliard, président de la Cour Criminelle, Mermoz, ancien député, Clerc, conseiller général, Gruat, maire de Chambéry ; Bella, directeur de la Régie, de Châteauneuf, d’Oncieu, de La Serraz, Mansord, ancien député, Massot, adjoint à la commission.
De celle-ci émanent trois sections :
- La première se charge de l’Inspection générale des travaux, de la police des voitures, des décorations et illuminations et réunit : MM Filliard, Picollet, substitut du procureur impérial, de La Serraz, Mermoz, Lapalme, conseiller de préfecture, Gruat, Clerc, Mansord.
- La seconde s’occupe de la buvette et doit prendre des mesures de sûreté, avec M.M. Bella, de Montford, de Buttet, de Châteauneuf.
- Enfin, dans la troisième, M.M. de Yenne, d’Oncieu, Gagnon, maire des Echelles, Jocteau ont pour mission de gérer les voitures des cortèges, les musiciens, orchestres, bals, chorales.
Le costume des commissaires était ainsi fait : habit drap français, bourse pour les cheveux longs, épée, souliers à boucle, écharpe et ruban vert et blanc attaché au bras droit.
De plus, afin de donner plus de solennité aux fêtes, le Préfet projeta de faire frapper une médaille commémorative et, à cet effet, des pourparlers furent engagés avec un graveur de Lyon, mais la dépense parut trop élevée et on renonça à ce projet. Par contre une garde d’honneur fut organisée pour escorter l’Empereur et l’Impératrice. Elle était composée de 57 cavaliers, avec, pour uniforme, habit blanc, parement vert, épaulette et aiguillettes en or, gilet et pantalon blanc garniture or, bottines à la hussarde bordure et glands en or, baudrier rouge garniture dorée, sabre à la hussarde, ceinturon vert ou or, chapeau français au plumet blanc et vert. Pour l’équipement du cheval la bride était à la hussarde avec garniture jaune, chabraque vert dragon et garniture dorée, aigle brodé aux deux coins derrière. Le guidon était assorti à l’uniforme avec deux écussons entourés de branches de chêne et de laurier. Cette garde fut exercée longtemps à l’avance par le commandant d’Yenne et parvint à manœuvrer parfaitement bien.
La ville de Chambéry organisa aussi des compagnies de grenadiers, de chasseurs et de pompiers avec un corps de 30 musiciens.
Tout était prêt le 26 germinal, jour de l’arrivée du cortège impérial. Le Préfet et la garde d’honneur allèrent attendre L. L. M.M. au Pont-de-Beauvoisin.
Aussitôt que le cortège arriva à la frontière du département du Mont-Blanc, le Préfet adressa à l’Empereur et à l’Impératrice des discours dont le texte a été conservé aux archives. La garde d’honneur commença aussitôt son service en escortant les voitures impériales. Tout au long de la route, les souverains furent acclamés par les populations qui avaient dressé en leur honneur des guirlandes et des couronnes.
La commune des Echelles avait placé sur le passage de l’Empereur une figure allégorique qui représentait la grâce de la reconnaissance afin de le remercier du service rendu au pays en ordonnant le percement du tunnel des Echelles. A côté de cette statue se trouvait l’inscription suivante :
« Napoleo magnus ;
Primus Gallorum Imperator;
Patriae salus ;
Publica felicitate restitua ;
Finibus Imperii alpes ultra prolatis ;
Viam hanc CXXXV ante annos;
Memorando opere magno sumptu apertant ;
Arduam imminentibus scopulis periculosam;
Commodorem tutoremque;
Per viscera monti transfodi jussit;
Ordo et populus Provinciae;
Grati animi ;
M. P. C.
Anno MDCCCV Imp I
Champagny Int. Minister
Cretet op pub. Praeses
Poitevin Maissemy prov. Pref.
Mongenet curator operum. »
VOYAGE ET SEJOUR DE L’AN XIII (1805) 2/3
Le général Molitor commandant la division militaire et le général Herbin commandant les troupes du département, suivis de leur état-major, allèrent à la rencontre des souverains à une assez grande distance de la ville. Ils se joignirent aux troupes à cheval qui formaient le cortège et se tinrent aux portières des voitures de L.L.M.M.
A 150 pas de Chambéry, le maire Gruat fut admis à complimenter L.L.M.M. auxquels il présenta les clefs de la ville, les mêmes que jadis au général Montesquiou. Il dit à l’Empereur : « Ces clefs ont été parfois le prix du vainqueur : qu’elles deviennent le gage de la fidélité, de l’amour, du respect et de la reconnaissance. »
Les souverains arrivèrent à Chambéry le 26 germinal vers 8 heures du soir. Ils trouvèrent la ville entièrement illuminée, ornée de guirlandes et d’inscriptions. Ils firent l’objet d’acclamations aussi nombreuses et aussi bruyantes que celles qui avaient accueilli le général Bonaparte au retour de la campagne d’Italie.
Sur la place Saint-Léger, on avait profité du bassin de la fontaine pour élever un obélisque de 14 mètres de hauteur soutenu par des serres d’aigle et surmonté de la croix de la Légion d’honneur. Le piédestal était orné de trophées et faisceaux d’armes. Chacune des faces présentait des inscriptions, entre autres celles-ci :
« Au libérateur de la France
Aussi sage sans le conseil
Que vaillant dans les combats. »
« Au grand Napoléon
La gloire de son siècle
Et le père de ses peuples. »
A la porte de la ville on lisait sur un transparent :
« Napoléon, reçois les vœux de la cité
Son amour t’est garant de sa fidélité. »
A l’hôtel de la Préfecture, sous le chiffre de Napoléon :
« Quos felices vult Deus, his talem praeficit. »
Sous le chiffre de l’Impératrice :
« Du plus grand des héros elle embellit les jours
C’est ainsi des Français qu’elle acquitte la dette. »
Les habitants de la ville avaient rivalisé pour mieux exprimer leurs sentiments : là était un soleil dardant ses rayons sur le Mont-Blanc avec cette devise :
« Transit benefaciende. »
Ici une grande pensée non moins juste était rendue en ces termes :
« Plaudite virtus adest
« Rediit regnumque paternum
« Rediit et priscae gentum felicitatis honos »
L’illumination de la maison Salteur-La Serraz était une des plus distinguées. Des lampions en verres de couleur distribués en festons le long de la terrasse formaient une élégante décoration. Un attique élevé au-dessus de la corniche présentait les figures de Minerve et Mars couronnant le buste de l’Empereur. Des drapeaux surmontaient ce groupe, sur l’un on lisait : « Le plus grand des héros » et sur l’autre : « Le modèle des souverains ».
Sa Majesté descendit le lendemain à sept heures pour monter à cheval. Au bas des rampes du palais, une famille éplorée que les gardes n’avaient pu se défendre de laisser pénétrer dans le premier vestibule s’est jetée aux pieds du monarque en laissant entendre au milieu des sanglots et des cris de la plus amère douleur le mot grâce qui devait rendre à l’une son époux, aux autres un père, d’autant plus coupable qu’il enveloppait dans son malheur quatre personnes des plus intéressantes. (M. R. condamné pour avoir pris part à la dernière conspiration contre les jours du Premier Consul).
L’Empereur reste un instant seul entouré de cette famille qui semblait s’attacher à ses jambes et à ses pieds. Le mot grâce revient toujours avec les mêmes sanglots à toutes les questions qu’il adresse. L’Empereur finit par dire : « Puisqu’il n’en voulait qu’à mes jours, j’ai le droit de faire grâce, je le rends à sa famille ».
L’Empereur fit ensuite sa tournée dans la ville, suivi du maréchal Bessières, du général Caffarelli, escorté d’un détachement de la garde d’honneur et des chasseurs de la garde. Il visite successivement les établissements militaires, se fait rendre compte par un des capitaines de la garde d’honneur [M. Palluel] de l’état de la situation des bâtiments, de leur destination pendant la guerre, de leur destination actuelle, de celle plus utile qu’il serait possible de leur assigner, examine les travaux entrepris pour la construction de la grande caserne [Curial], s’en fait expliquer le plan, entend les réclamations des entrepreneurs et détermine la quotité de fonds qui seront nécessaires pour continuer avec activité la campagne commencée. [Il monte] la grande rampe du château, voit les ravages de l’incendie de l’an VII, juge la position du local comme des plus favorables à l’établissement d’une préfecture et en conçoit le projet. [Puis il] gagne les hauteurs de la ville, s’informe des noms et de l’élévation des divers points qui la dominent, de la direction et de l’embranchement des routes.
Il tourne le faubourg Maché, arrive sur les fossés de la Visitation et s’arrête devant l’Ecole Secondaire. Le directeur de cette école ayant rendu compte au bureau de cette administration de la faveur signalée dont avait joui cet établissement, nous transcrivons ici son rapport :
« Je vais rendre au bureau un compte exact de la visite de notre établissement faite le 26 germinal par S. E. le Ministre de l’Intérieur et le lendemain 27 par S. M. I. et R. Prévenu le 26 au matin par M le Secrétaire général de la Préfecture de l’arrivée de S. E. le Ministre de l’Intérieur, je me hâtai de lui rendre mes devoirs. S. E. me fit plusieurs questions sur l’organisation de notre école et sur le pensionnat et me promit de visiter peut-être l’établissement dans la journée. Je convoquai en conférence et de suite les professeurs et les élèves. A deux heures de l’après-midi, nous vîmes arriver S. E. en voiture accompagné du secrétaire général de la Préfecture : nous le reçûmes à la porte extérieure de l’école et l’introduisîmes dans l’enceinte. Les pensionnaires étaient rangés sur deux lignes de front au milieu de la cour et les externes sous les portiques. A la vue du Ministre un cri unanime se fit entendre : « Vive l’Empereur, Vive Son Excellence ».
Il porta d’abord son attention sur les pensionnaires et dit que si leur instruction répondait à leur tenue, il ne manquerait rien à leur éducation. S.E., accompagné du Directeur et des professeurs, visita ensuite les salles d’enseignement, les dortoirs, la salle de réunion, les bas offices. Dans les dortoirs S. E. montra la plus grande satisfaction sur la salubrité des salles, la disposition des lits, la propreté du linge et le bon ordre établi dans les alcôves. Elle fut également extrêmement satisfaite du réfectoire et de toutes les autres parties de l’établissement. La visite finie, S. E. s’adressant au chef de l’école lui fit l’éloge le plus flatteur qu’il s’abstient de répéter et lui annonça qu’il rendrait compte à S.M.I. de la satisfaction qu’elle avait éprouvée, du mérite des personnes et de l’état florissant de l’établissement. Le Directeur, après avoir protesté de son zèle et de celui des professeurs, annonça à S.E. qu’il avait préparé par écrit un exposé succinct sur l’état actuel de l’école dans ses principaux détails et des besoins qu’elle éprouve encore, et le lui ayant présenté : « Je l’accepte, dit S.E, avec plaisir et je le lirai avec intérêt »
Le lendemain 27 germinal, sur les huit heures du matin, S.M. parcourant à cheval les environs de la ville, on m’apprit qu’elle allait passer dans la rue neuve du Verney. La visite de l’école faite la veille dans le plus grand détail par le Ministre de l’Intérieur faisait présumer que S. M. I. pourrait n’avoir pas la pensée d’entrer à l’école. Nous fîmes sortir les pensionnaires dans la rue et nous mîmes sur la porte de l’école pour saluer S.M. à son passage. Mais l’Empereur se décida à entrer. Arrivé dans la première cour visant sur la rue, quelques dames que l’empressement avait attirées aux fenêtres du pavillon extérieur frappèrent d’abord l’attention de S. M. qui observa qu’il ne devait point y avoir de femme dans l’intérieur d’une école. Mais sur l’observation qui fut faite que cette partie du bâtiment était indépendante et que cette cour n’était pas encore celle de l’école, S.M. parut satisfaite et arriva dans l’intérieur de l’école. Elle observa que la disposition du bâtiment était conforme à son objet.
Elle demanda au Directeur ce qu’étaient auparavant ces bâtiments, le Directeur le lui apprit. Le drapeau donné par M. le Maire à notre jeunesse frappa aussi l’attention de S. M. « Ce n’est pas un drapeau, dit-il, qu’il faut donner à ces jeunes gens, ils ne sont pas encore en état de le défendre, le drapeau doit être protégé par la valeur et au prix du sang de ceux qui ont l’honneur de le porter. Il leur faut un guidon. Il ne faut également point d’officiers parmi eux et le grade le plus élevé ne doit être que celui de sergent-major. Je leur ferai donner un guidon. »
S.M. demanda aussi quelle était l’heure des exercices et parut apprendre avec plaisir que tout était conforme aux dispositions de la loi. La différence des chapeaux attira aussi l’attention de S.M. qui en demanda la raison. Le Directeur lui répondit que conformément au règlement donné par S. M., les élèves au-dessous de 14 ans avaient un chapeau rond et les autres le chapeau troussé. « Fort bien », dit l’Empereur. S.M. lui demanda ensuite quel était le professeur de mathématiques. S. M. parut satisfaite que le chef de l’école fût en même temps professeur. Elle demanda quel auteur on suivait dans les leçons de mathématiques ; le Directeur répondit qu’on suivait Lacroix, auteur prescrit par le règlement donné par S.M. « Fort bien », répondit encore l’Empereur.
L’Empereur demanda ensuite quels élèves étaient les plus forts dans cette partie ; le Directeur en nomma plusieurs. S. M. ordonna qu’on fasse approcher le premier nommé, qui s’est trouvé Jean-Claude Pellegrini, élève de la première classe de mathématiques. S.M. lui adressa plusieurs questions et spécialement sur les sections coniques auxquelles l’élève répondit avec la plus grande justesse. Sa Majesté manifesta un contentement marqué. Elle demanda ensuite si nous avions des élèves distingués dans l’étude des lettres : le Directeur lui en ayant nommé quelques-uns, S. M. les fit approcher et leur fit également plusieurs questions. Elle observa que les élèves étaient poussés loin dans toutes les études et que notre école semblait différer peu d’un lycée, ce qui rendait cet établissement plus dispendieux que s’il était de quelques degrés inférieur. S.M. en parlant jeta plusieurs fois les yeux sur son buste de grandeur naturelle couronné de lauriers et placé en face de la porte d’entrée, au milieu d’un entourage de guirlandes disposé agréablement.
S.M. demanda quel était le nombre des pensionnaires et des externes et ensuite le montant de la pension. Elle observa relativement à la pension qu’elle lui paraissait chère, si les denrées comme il le pensait étaient à grand marché dans le pays. Il s’éleva une voix unanime pour lui répondre que les denrées, à l’exception du vin, étaient au contraire au taux ordinaire très élevé. « C’est différent », dit S.M., et cette observation n’eut pas d’autre suite. Pénétré des besoins du peuple, S.M, montra à cet égard des vues paternelles et bienfaisantes, en manifestant le désir que l’instruction fût à la portée du plus grand nombre et, à ce sujet, ayant demandé le montant de le rétribution des externes, elle l’a trouvée très modérée et a surtout approuvé avec beaucoup de satisfaction la mesure relative aux élèves particuliers de la classe de dessin qui ne paient que la moitié de la rétribution des externes.
S.M. ayant demandé si les pensionnaires savaient faire quelques évolutions, le maître de la salle répondit que si S.M. l’ordonnait, on les ferait marcher devant elle. Nous réclamons son indulgence, en lui annonçant que les pensionnaires n’étaient instruits que depuis peu de jours et que les exercices à ce sujet ne leur avaient été ordonnés qu’à cause du passage de S.M. dans cette ville et pour lui donner une marque de dévouement, de respect et d’attachement. S.M. témoigna sa gratitude au Directeur. Elle s’entretint également quelques instants avec le maître de salle sur ses services militaires, sa pension de retraite et sa manière d’être dans la maison. La marche des élèves ayant été commandée, S. M. la suivit des yeux avec une attention suivie d’un gracieux sourire et marcha elle-même en se reculant au devant de la colonne ; elle fit arrêter et annonça que, quelques élèves ayant déjà une taille avantageuse, elle leur ferait donner des fusils pour leur récréation ; et saluant avec bonté, elle se retira, au milieu des acclamations universelles.
Le local avait été décoré de la manière suivante :
La porte d’entrée était ornée d’un pavillon en verdure surmonté d’une couronne impériale artistement construite également en verdure. Au pavillon se rattachaient à droite et à gauche les guirlandes qui ornaient le mur de la façade.
Au-dessus du pavillon était disposé le mécanisme d’illumination de la veille, consistant en une inscription latine transparente placée au milieu d’un cadre de lampions.
Le buste de S.M. se présentait de loin sur le mur du fond dans la cour intérieure. Dans la salle de réunion, décorée et meublée comme pour un jour d’assemblée, était placée au fond une peinture en détrempe faite par Peytavin l’aîné, beau-frère du Directeur, représentant le buste de Napoléon couronné par Minerve. Le buste est placé dur un socle au devant duquel est placé un aigle reposant sur un foudre et portant une inscription. Le fond du tableau est un manteau impérial drapé convenablement. »
S.M rendu à son palais par les fossés s’arrête à l’Hôtel-Dieu, à la fois hospice civil et militaire, s’informe du nombre de malades, de leur tenue, du mouvement annuel de cet hospice, de la dépense par tête.
Des groupes nombreux se sont partout trouvés sur son passage ; il reçut avec bonté toutes les pétitions qui lui ont été présentées, il s’est même arrêté plusieurs fois pour interroger ceux des pétitionnaires qui l’abordaient de plus près.
Rentré au palais, S.M. a fait appeler le Préfet et, pendant une heure d’audience particulière, l’a entretenu et l’a interrogé sur les besoins et la situation du département. Ensuite, Napoléon reçoit tous les corps civils, l’administration judiciaire, les diverses députations des départements voisins, de la Suisse, qui sont présentés par le sénateur Hédouville, grand maître des cérémonies. A l’audience du corps municipal, le maire présente à S.M. les vins d’honneur. « Je les accepte », dit l’Empereur en accompagnant ces mots d’un sourire de bonté. Puis en réponse à M Bain, Président du Conseil Général, il précise : « Je sais que ce département m’est attaché, je lui ai déjà fait du bien, je saisirai toutes les circonstances qui me permettront de lui en faire encore, mais Dieu n’aide que ceux qui s’aident. »
VOYAGE ET SEJOUR DE L’AN XIII (1805) 3/3
Napoléon a pris de là occasion de parler du peu d’industrie du département et particulièrement de la ville de Chambéry. Il a cité avec éloge la ville d’Annecy où sept à huit fabriques se sont créées en quelques années.
Le commandant et les officiers de la garde d’honneur ont joui de la faveur d’une audience particulière et l’Empereur a souri avec bonté à leur demande :
« Sire,
« Descendants d’une nation brave et fidèle que votre génie et vos conquêtes ont à jamais associée au plus puissant Empire, nous nous honorons du dévouement qui nous amène au pied du trône.
« Semblables à nos aïeux notre politique n’est que notre amour.
« A ce besoin de nos cœurs se joint ce sentiment profond d’admiration que commande un héros que la postérité enviera à son siècle et qui, en ce moment même, rend toutes les autres nations jalouses.
« Tout drapeau français est le fanal de la victoire. Sire, disposez de nos bras et le nôtre atteindra sa destinée. S’il reste privé de cet avantage, il brillera toujours des sentiments qui nous animent.
« L’alliance de ses couleurs est l’image allégorique des liens indissolubles qui unissent le département du Mont-Blanc à votre auguste personne ; ils seront éternels comme les bases sur lesquelles ils reposent ; ils sont purs comme les premiers feux du jour qui dardent sur son sommet.
« Les fêtes et les institutions des peuples datent des événements les plus heureux de leur histoire ; celui que la présence de V.M. signale en ce jour d’allégresse sera l’époque la plus fortunée de la nôtre.
« Sire, permettez qu’elle ramène parmi nous cette ancienne institution du tir (la fête du tirage) qui fut pendant près de deux siècles le motif d’une fête annuelle où une fusion de toutes les classes présentait le spectacle intéressant d’une immense et joyeuse famille.
« Sire, permettez que cette fête ait lieu chaque année à pareille époque que ce jour, que nous appelleront napoléonienne, et que notre corps se perpétue à la faveur d’une institution qui attestera dans tous les temps notre amour, notre dévouement, vos bienfaits et notre reconnaissance. »
Après les audiences S. M. est montée en voiture pour se rendre au fort Barreau. Elle y a été accompagnée par le général Molitor, escortée d’un détachement de sa garde d’honneur.
S.M. l’Impératrice a reçu, avec cette affabilité qui l’a rendue si chère aux Français, une députation de douze jeunes demoiselles qui est venue lui offrir des fleurs et l’hommage du respect des dames de la ville. Le lendemain elle a fait remettre à Mlle Salteur-La Serraz, qui avait eu l’honneur de porter la parole, un collier enrichi de diamants. Cette députation était composée de Mesdemoiselles La Serraz, Fernex, Chevalier, de Buttet, Filliard, Cernex, Verney, Girerd, Amphoux, Leblanc, Brunet et Blanc. Elle a été présentée par M le Préfet, le Maire et introduite par M. Beaumont, chambellan.
L’Empereur, de retour à cinq heures, a admis à son dîner M.M. Molitor, général, le président de la Cour d’Appel, le préfet et l’évêque de Chambéry. A dix heures L.L.M.M. accompagnées des personnes de leur suite, se sont rendues au bal que le préfet, réuni au Conseil général, a eu le bonheur de leur faire agréer. Elles parurent frappées de la beauté du coup d’œil.
La loge impériale était décorée avec noblesse et élégance ; tout le contour était orné de guirlandes de diverses couleurs. Une couronne suspendue au milieu du plafond tombait sur la tête de L.L M.M. Leurs chiffres enlacés faits en verre pilé de couleur brillaient sur la porte de la loge. A la sommité du trône était un grand trophée de sciences, arts et métiers, surmonté de l’aigle impérial tenant une couronne à son bec. Au faîte du théâtre, en face de la loge impériale, un rideau tiré au moment de l’entrée de L.L. M.M. a laissé voir un temple circulaire au centre duquel était posé sur un piédestal le buste de l’Empereur. Des guirlandes de verres illuminés, disposées avec goût, étaient tenues par des aigles fixés sur des colonnes qui régnaient le long de la grande frise. La voûte était également illuminée.
Près de 600 femmes, plus encore distinguées par leur fraîcheur que par leur parure, réunies parallèlement sur deux côtés de la salle, présentaient un coup d’œil enchanteur et qui seul aurait pu suffire pour faire l’orgueil d’une bien plus grande ville. Au moment de l’arrivée de L.L. M.M. les cris de « Vive l’Empereur ! Vive l’Impératrice » annonçaient l’enthousiasme du bonheur et de la reconnaissance ; ils recommencèrent à trois reprises et ne cessèrent que pour laisser entendre une symphonie exécutée par un très nombreux orchestre placé au bas du temple en face de L.L. M.M. Puis succéda une cantate.
Puis le préfet ayant pris les ordres de S. M. annonça que le bal pouvait commencer. Bientôt se formèrent les quadrilles et le plaisir, présidé par celui qui dispense le bonheur sans rien perdre de sa vivacité, eut pour cette fois ce caractère noble et majestueux qu’imprime à tous la présence du chef de l’Etat et tous les sentiments d’admiration que commande la vue du grand homme. L.L. M.M. ont quitté le bal de bonne heure. Il a eu peine à se soutenir après le départ de ceux que tous nos yeux cherchaient encore et que les applaudissements suivaient jusqu’à leur palais.
L’Empereur et sa suite, avec le préfet, sont partis le 28 germinal à quatre heures du matin pour le Mont-Cenis. Cette heure matinale ne les a point soustraits à la foule et les acclamations les ont accompagnés aussi longtemps qu’elles ont pu se faire entendre. Les généraux Molitor et Herbin, tout leur état-major et toute la garde d’honneur ont escorté L.L. M.M. jusqu’à une heure de la ville. Ils ont trouvé, tout le long de la route, une continuelle répétition des scènes qui avaient marqué leurs premiers pas dans le département. Un arc de triomphe en verdure élevé sur le pont de Montmélian présentait au-dessus du couronnement le tableau allégorique de l’Agriculture implorant le restaurateur de la France et le père du peuple. Ce tableau aurait été d’une pensée plus exacte s’il eût fait exprimer des remerciements au génie, S.M. s’étant occupé la veille du projet de diguement de l’Isère. A Saint-Jean-de-Maurienne, L.L. M.M. ont trouvé une garde d’honneur à pied sous les armes. Quoiqu’elles aient passé sans s’arrêter, elles en ont cependant observé la bonne mine et l’excellente tenue ; cette garde de 50 hommes était due exclusivement au zèle des familles les plus recommandables de la ville et des militaires pensionnés qui s’y sont retirés.
L.L. M.M. ont couché à Modane dans le presbytère qu’elles n’ont quitté qu’après avoir laissé dans les mains du recteur une somme de 3 000 francs pour les pauvres. L’Empereur a traversé le Mont-Cenis à cheval et est arrivé le premier à l’hospice où il s’est arrêté assez longtemps avec le Directeur, l’abbé Gabet. Il a accueilli avec la plus excessive bonté les desservants de ce temple hospitalier que ses mains victorieuses ont élevé à l’humanité. Etant à la fenêtre, il vit passer deux militaires et s’informa de suite auprès de l’abbé s’il ne continuait pas à faire quelques distinctions aux soldats marchant isolément, si l’hospice n’était pas remboursé de cette dépense par le département de la Guerre. Sur la réponse affirmative de l’abbé, il fit entrer les militaires dans l’hospice en leur disant « Enfants, entrez, on aura soin de vous » L’abbé s’empressa de remplir les intentions de S.M. et, ayant fait servir aux soldats une excellente chère, il leur dit : « Savez-vous qui sait aussi bien traiter ? C’est l’Empereur lui-même.» A ces mots les deux soldats se levèrent saisis d’admiration et de reconnaissance et crièrent plusieurs fois : « Vive l’Empereur, Vive le père des soldats ! », exclamations qu’ils recommencèrent à chaque verre de vin et qui frappèrent agréablement les oreilles de S.M.
C’est sur ce point frontière du département que le préfet a pris congé de S.M., lui a renouvelé sa sollicitude pour les intérêts du département en lui remettant un mémoire qu’Elle avait daigné lui demander sur tous les points d’amélioration quelconque. L’Impératrice et les personnes de sa suite ont passé les montagnes dans de très bonnes chaises à porteur. Malgré la neige et les glaces fondantes, il n’est point arrivé d’accident. M de Maissemy est le seul qui ait éprouvé une chute. Son cheval s’abattit sur lui et lui froissa assez rudement le genou. S. M., informé de cet accident, se plut à lui témoigner le plus touchant intérêt.
S.M. a beaucoup examiné la route de Maurienne. Incontinent, après son passage, Elle a ordonné des travaux considérables pour faire disparaître les montées qui la rendent encore difficile sur quelques points.
Indépendamment des bienfaits assurés au département par les décrets qui terminèrent cet article, l’Empereur a accordé 5 000 francs aux hospices de la ville de Chambéry et une égale somme au chapitre de la cathédrale. Il a honoré la ville de Chambéry et la garde d’honneur d’un témoignage bien précieux en faisant remettre au maire et au commandant de la garde une boite en or, ornée de son chiffre.
La population de la ville de Chambéry, qui était de onze mille âmes, se trouva subitement passer à 20 000 âmes ( !). Le département de l’Isère, du Léman et les cantons les plus rapprochés de la Suisse ont pu concourir pour un huitième dans ce grand nombre d’étrangers. Le surplus appartenait à toutes les classes des divers points du département du Mont-Blanc
Liste des Gardes d’honneur pour le voyage de Napoléon
- Veuillet d'Yenne, ancien militaire, commandant
- Palluel Joseph, secrétaire général de la préfecture, capitaine
- Perrin Louis, ancien militaire, capitaine agrégé
- Devillc Louis, ancien militaire, lieutenant
- Darvillers Sylvestre, ancien militaire, lieutenant
- Fortis Pierre, ancien militaire, adjudant-major
- Doncieux, ancien militaire, maréchal des logis chef
- Dubourget Victor, propriétaire, porte guidon
- Velot Joseph, employé de préfecture, maréchal des logis
- Godard Louis Victor, préposé des subsistances militaires, brigadier fourrier
- Berthier Louis, propriétaire, brigadier
- Saucet Joseph, propriétaire, chasseur
- Beauregard Joseph, négociant, chasseur
- Dupasquier Jacques, propriétaire
- Corcellet Pierre, commissionnaire chargeur
- Cartanas Maurice, négociant
- Tardy Joseph, propriétaire
- Sanctus Jean Baptiste, négociant
- Foret Guillaume, négociant
- Burnier François, propriétaire
- Chapperon Jean, propriétaire
- Gojon François, propriétaire
- Ferrolier Hyacinthe, commissionnaire chargeur
- Savoiraux Philibert, ancien militaire
- Revmondon Pierre, négociant
- Curtet Claude, négociant
- Delachambre Guillaume, ancien militaire
- Decour Victor, rentier
- Reveyron François, propriétaire
- Poulin Claude Marie, propriétaire
Arrondissement d'Annecy
- Derochette, ancien militaire, capitaine
- Devilleneuve, rentier, maréchal des logis
- Puthod François, pharmacien, brigadier fourrier
- Colomb Jean Félix, ancien militaire, brigadier
- Delevet Paul, ancien militaire, chasseur
- Depailler François, ancien militaire, chasseur
- André Joseph, ancien militaire
- Defesigny Hector, ancien militaire
- Tochon Amédée, rentier
- Grandis Antoine, rentier
- Domenjond Jean François, maire
- Dereydet François, rentier
- Guilliet Georges, rentier
- Thirion Joseph négociant
- Gautier Georges, médecin
- Descotes Claude Ignace, rentier
Moutiers
- Blanc Ambroise, employé civil, chasseur
- Vouthier François, employé aux salines
- Roche François, employé aux salines
- Mermoz Charles, ancien militaire
Maurienne
- Balmain Joseph, propriétaire chasseur
- Rostaing Antoine, ancien militaire
- Pottier François, maître de forges