Quand la Savoie découvrait la télégraphie sans fil. Galletti, un pionnier méconnu.
Musée Galletti de Saint-Maurice de Rotherens
Article paru en décembre 1993 dans L’Histoire en Savoie magazine, SSHA.
Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. Tout ce que nous faisons, tout ce que nous sommes est l'aboutissement d'un travail séculaire ».
A l'heure où le monde des communications donne le vertige à l'homme, cette pensée de Renan nous renvoie avec sagesse à une époque, somme toute pas si lointaine, où communiquer à distance n'était qu'un rêve.
Nombreux sont ceux qui ont œuvré pour cet objectif si important de l'histoire de l'humanité. L'un d'entre eux, Roberto Clemens Galletti de Cadilhac, pionnier de l'ombre, n'eut pas la possibilité de connaître la gloire. Son œuvre fut démantelée inutilement, alors qu'elle aurait pu rendre en son temps de grands services à la France.
Découvrons l'histoire de cet illustre personnage né le 29 décembre 1879 à San Venanzo, sur le bord de l'Adriatique, et qui, marié à une Française veuve du comte de Messimy, vint s'installer dans la maison qu'il acheta à Murs, dans l'Ain, sur l'autre rive du Rhône, en face de sa station.
Un père franco-italien, une mère anglaise lui offrirent l'atout de posséder trois langues dès son plus jeune âge. Travailleur infatigable, il œuvra pour atteindre son objectif premier, une communication transatlantique.
La mathématique et les sciences physiques, spécialement tout ce qui se rapportait à l'électricité, l'attiraient particulièrement et il étudia pour devenir ingénieur. En 1908, il fut inscrit à la Société des ingénieurs et architectes italiens. Il était hanté du mystère des ondes électriques.
En 1906, il déposa en Angleterre un brevet pour des « perfectionnements dans la télégraphie sans fil ».
L'année d'après, il obtint, en Angleterre et en France, les brevets pour les (« perfectionnements dans les méthodes pour produire les oscillations électriques » et tout au long des années suivantes, jusqu'en 1926, de nombreux autres brevets en France, en Suisse, en Allemagne et dans d'autres pays.
En 1908, il traita avec la « Cylindroïd » de Londres pour une démonstration pratique de son système de télégraphie sans fil, dans le but d'établir une communication sans fil entre la France et les côtes orientales des Etats-Unis.
La France eut le mérite de reconnaitre la première la validité du nouveau système de télégraphie sans fil, inventé par l'ingénieur italien.
En 1909, il fut autorisé par le Ministère des Travaux Publics, des Postes et des Télégraphes français, à installer un poste d'expérience de télégraphie sans fil à Villeurbanne. La correspondance entre le Ministère et l'ingénieur Galletti continua et, en 1912, dans le Petit Bugey (Avant-Pays Savoyard), il édifia une station de T.S.F., l'une des plus puissantes du monde à l'époque. Les bâtiments étaient situés à Leschaux (commune de Champagneux) et l'antenne établie par l'administration des Postes et Télégraphes venait se fixer à Saint-Maurice de Rotherens, sur le bord de la falaise, à 500 mètres au-dessus du lit du Rhône, sur des poteaux espacés d'une trentaine de mètres les uns des autres.
Cette antenne-harpe était constituée de dix câbles d'environ 950 mètres. Elle était gardée par Jean Gros qui était chargé de la maintenir en état quel que soit le temps. Galletti avait trouvé à Leschaux un site très favorable pour la construction de sa station avec une base marécageuse (eaux du Rhône) où dix rangées de lames de cuivre furent enterrées, et une falaise calcaire à pic. Plusieurs bâtiments étaient construits, isolés du sol par une couche d'asphalte ou par des isolateurs en porcelaine.
Deux lignes électriques spéciales alimentaient la station, l'une provenant de l'usine Richard de Saint- Genix, l'autre de la Société Force et Lumière de Moûtiers.
A la fin de 1913, l'ingénieur Galletti put faire ses premiers essais de transmission avec une note musicale et des signaux morse ; ils furent reçus par la station de Tuckerton dans le New-Jersey (USA) pendant l'hiver 1913-1914.
Un rapport au sujet de l'efficacité de la station de Leschaux donne en conclusion : « Les signaux reçus en 1914 à Tuckerton (près de New-York) le jour et la nuit, étant qualifiés comme des signaux de bonne intensité de courant, cela signifie que leur puissance était au moins triple par rapport à celle suffisante à la réception. Le poste de Leschaux a pu brouiller les réceptions de poste de T.S.F de Glace Bay (Canada) en empêchant à ce poste de recevoir des émissions faites par le poste de T.S.F de Clifden (Irlande) toutes les fois que M.R.C Galletti a bien voulu le faire ».
Au mois de mars 1914, le Ministère français des Postes et des Télégraphes passa une convention avec la Compagnie qui avait été fondée en 1912 pour l'exploitation des brevets Galletti. Elle fut passionnément discutée à la Chambre des Députés dans la séance du 18 mars 1914 et tous les journaux en parlèrent.
Alors qu'il venait de demander la visite de sa station par le président Poincaré qui projetait un voyage dans la région, au mois d'août, survint la Grande Guerre. Galletti assista, impuissant, au démantèlement de sa station alors que son utilisation pouvait rendre de grands services à la France. En effet, il était en train de poursuivre ses travaux afin d'assurer la réception des signaux russes. Malgré l'intervention du capitaine Ganache, le « crime de lèse-patrie » se réalisa ; le poste de Leschaux fut mis sous séquestre et, en septembre 1914, le Ministère de la Marine opéra la réquisition du matériel. Ce qui restait de la station fut gardée par des soldats jusqu'en 1920. Cette année-là, le matériel fut rendu, mais dans un état déplorable et hors d'usage.
Le poste resta fermé deux ans encore et seulement en 1922 les scellés furent levés et l'on fit l'expertise du peu qui s'y trouvait. Mais il devait passer encore une année avant que Galletti fût autorisé à y pénétrer avec l'ingénieur-électricien, M. Marcel Martin. Son rapport dresse le constat : « Contrairement à ce que pourrait faire croire l'inventaire très incomplet dressé le 31 août 1914, il importe de dire que la station de Leschaux, telle qu'elle était équipée avant la guerre, représentait un poste de télégraphie sans fil de tout premier ordre très bien conçu et outillé, et disposé pour jouer un rôle actif dans le domaine des transmissions télégraphiques à très grande distance, tant au point de vue commercial qu'au point de vue avancement de la science. En dehors des appareils qu'elle renfermait, cette station représentait une valeur propre intrinsèque due à l'utilisation rationnelle et scientifique de tous ces appareils.
Des résultats nouveaux et remarquables de transmission à très grande distance avaient été obtenus expérimentalement avant-guerre par la mise en œuvre de ce poste dont une des caractéristiques était son prix d'établissement relativement réduit ».
Mais Galletti ne pouvait plus utiliser les restes de sa station et avec l'indemnité qu'il reçut de l'Etat, il liquida sa compagnie. Très éprouvé, il continua cependant à s'intéresser à ses études. Il obtint d'autres brevets, toujours au sujet de la télégraphie, publia des essais et formula l'équation électromagnétique universelle.
Une inscription, qu'il fit placer à l'entrée de sa maison à Murs, la rappelle ainsi :
«Rerum naturae
Aequationem universalem
RC. Galletti De Cadilhac
A.D. MCMXXII ibi scripsit »
Ensuite, il continua ses recherches en Angleterre où il expérimenta avec succès un procédé de radioguidage des avions. Le 2 juillet 1931, il réalisa une démonstration sur un « Fokker », lors d'un voyage Manchester-Bristol aller et retour. Le journaliste qui l'accompagnait écrivait « J’ai eu le privilège de tester une invention incroyable qui garde les avions sur leur route comme les tramways sur leurs rails et qui pourrait bien révolutionner l’aviation ».
Mais malheureusement Galletti ne put terminer ses travaux... Le 18 août 1932, il décédait chez lui, à Murs (Ain), où il fut enterré. De cette œuvre importante, il ne reste que peu de vestiges. La station démantelée n'a laissé que ses fondations et le temps a eu raison du dernier poteau de l'antenne.
Cependant, depuis de nombreuses années, l'association Rencontres et Loisirs, en liaison avec la Municipalité de Saint-Maurice de Rotherens, perpétue le souvenir et l'œuvre de Galletti. Vous pourrez donc visiter au chef-lieu un petit musée de la Radio qui lui est consacré et pour lequel la municipalité a un projet d'agrandissement. Dans le cadre du sentier de randonnée « Les balcons de Saint-Maurice », sur le site historique « Les Fils », appelé ainsi depuis 1912, vous pourrez découvrir, face au merveilleux panorama au-dessus du Rhône, une stèle érigée à sa mémoire grâce au Club Historique et Collection Radio (C.H.C.R).
D'autre part, chaque année, le deuxième dimanche de juin, Rencontres et Loisirs organise la commémoration Galletti qui réunit de nombreux adeptes de la radio (C.H.C.R, R.E.F.Savoie, collège La Forêt).