Naître en Savoie

Dans le cadre de sa collecte personnelle d'ethnographie, qui a donné lieu à la publication de l'ouvrage Naître et mourir en Savoie, Stephane Henriquet nous propose quelques récits complémentaires qu'il a été impossible d'insérer directement dans l'ouvrage mais néanmoins très intéressants.

Le baptême et ses rites : une entrée sociale et chrétienne

Villargerel (Tarentaise) : L’air du carillon, la différenciation du sexe du baptisé, le port de l’enfant, les dragées

« Le carillonnage des cloches pour un baptême... Si c’était un garçon... je ne me rappelle plus, mais il y avait une différence de sonnerie entre un garçon et une fille. On commençait à carillonner les trois cloches ou alors avec la grosse cloche toute seule. Une fois qu’elle était lancée, elle s’accordait avec les deux autres. Mais je ne me rappelle pas de la différence. Il y avait une différence dans le carillonnage. L’air, c’était « le Bon Roi Dagobert ». C‘est moi qui le carillonnait, c’était de mon répertoire. Les cloches répondaient bien au son, quoi... à l’air de la chanson […]. Si ! Il y avait une couleur [pour différencier un garçon d’une fille]. Je ne peux pas vous dire laquelle c’est […]. La marraine portait l’enfant mais pas la sage-femme […]. Les dragées, en principe, le parrain les achetait et on les jetait si le terrain était assez sec. Alors après, il y avait une nuée de gosses qui se précipitaient dessus »

Villargerel, décembre 1996 (M. Charles-Amédée Digard, né en 1899, décembre 1996).

Bessans (Maurienne) : La rapidité de faire baptiser, la différence de sexe par le carillon, le couffin ou le berceau, le « krouvertou »…

« […]. Moi, j’ai été baptisée trois jours après [la naissance]. Ma mère, elle a dit :

- Elle va peut-être mourir, va la baptiser.

Après un mois, on ne sonnait plus les cloches. C’était au mois de décembre, il faisait pas chaud, je me rappelle pas [rire]... s’il faisait chaud. Ma mère racontait toujours qu’elle avait dit :

- Oh, elle va mourir, va chercher le parrain, la marraine pour la faire baptiser.

Dans les hameaux, comme l’Avérole, c’était plus dur. Il mettait cinq ou six jours, je ne sais pas. Pour les garçons, c’était le carillonnage de Saint-Jean-Baptiste (patron de la paroisse) et le carillonnage de la Sainte Vierge pour les filles […]. C’était le parrain, oui, qui portait le bébé. Il était habillé ... il avait une espèce de ... de drap. Même pas de drap .... c’était du beau tissu argenté, comme ... vous savez, comme presque dans les églises .... Alors, c’était un beau tissu et il [le parrain] le mettait devant, attaché là-derrière [le cou]. Et il portait le gosse dans le couffin parce que... il était tout petit, voilà. Alors c’était pour le préserver, le couvrir. On appelait la couverture du parrain : le krouvèrtou ... le krouvertou du batèm […]. Quand on habitait un hameau, il descendait le nouveau-né dans un berceau. On jetait des dragées aux enfants à la sortie de l’église, moins l’hiver »

Modane, année 2000 (Mme Marine Tracqui, nonagénaire)

Aussois (Maurienne) : La « petite marraine »

« Fallait déjà une jeune fille qui porte l’enfant, vous savez. Oui, c’était une jeune fille, enfin, qui ait tout de même de la force dans les bras pour porter. Une jeune fille d’une quinzaine d’années mais un peu dans la parenté, vous savez […]. Alors, bien-sûr, l’enfant, il était tout langé de blanc et une jolie couverture, tout bien, pour le porter jusqu’à l’église […] ».

Q. : Alors, c’était pas la marraine qui portait l’enfant ?

- Ah non non, le parrain et la marraine suivaient derrière et puis les parents encore après, oui […].

Q. : Et la jeune fille, elle avait un nom spécial en patois ?

- Pas spécialement ... Ils l’appelaient la petite marraine, parce que c’était pas la vraie marraine, c’était la petite marraine ».

Modane, avril 2000 (M. Louis Ratel, septuagénaire, avril 2000)

Les anges, La mort sans baptême

Saint-Jean-de-Belleville (Tarentaise) : La vision d’un « soleil » sur la charrette

Quelqu’un de Saint-Jean (1) avait une petite fille malade [...]. Il l’avait descendue à Moûtiers (2) [...]. Et elle est morte à l’hôpital. Donc, il l’a remontée. Et en remontant, quand il passait vers Notre-Dame-des-Grâces (3), il se la tenait. Il avait la charrette, puis se la tenait. Et les gens ont vu arriver quelqu’un... avec une charrette. Ils ont dit :

- Mais qu’est-ce que tu avais dans les bras quand tu revenais ? Il y avait quelque chose sur ta charrette. C’était un « soleil » ? [...]. C’était tout illuminé ! C’était un « soleil » que tu avais !

- Ben oui ! Sûrement un « soleil » ! C’était ma petite fille qui était morte, que j’avais ! [...].

C’était, l’air de dire : elle est morte mais comme c’est un bébé, elle est au Ciel, donc c’est un « soleil » [...]. Mais souvent, ils racontaient des histoires comme ça.

9 Aigueblanche, juillet 2001 (Mme Marie Lathuile,70 ans environ)

Motif-type international : V230 Angels.

(1) Saint-Jean-de-Belleville - (2) Chef-lieu de canton.

Montaimont (Maurienne) : Les pleurs des non-baptisés près de la chapelle de Beaurevers

« Il y avait des revenants et puis il y avait des phénomènes qui se passaient. Il y en a qui donnaient une messe. Ça s’arrêtait […]… parce que, en bas… vous avez vu la chapelle de Beaurevers ? Vous connaissez ? Moi j’ai entendu des histoires… que des gens…Parce qu’ils montaient tous à pieds, il y avait pas de voitures et tout !... Alors, quand ils passaient là-bas, ils entendaient pleurer, pleurer. Il paraît qu’ils enterraient les petits qui n’avaient pas été baptisés là-bas. Et puis, il y en avait un qui a dit après :

- Oh ben, attendez.

Il a donné une messe et ça s’était arrêté. C’était pas exactement ça, c’était plus meublé que ça ! On se rappelle pas […] ».

Montaimont, août 2008 (M. Pierre Court, septuagénaire, village de Taramur)

Motif-type international : E290. Malevolent return from the dead* (provoquer des éboulements).- E402.1.1.2. Ghosts moans.- E402.1.1.3. Ghost cries and screams.- E.443.2.1. (Ghost laid by saying masses).- RevenantV60 Funeral rites* (enterrer les non-baptisés dans un lieu particulier).- V81.Baptism.

Nota.- Dans la commune de Montaimont, il existe une chapelle où l’on allait autrefois en pèlerinage. Les récits qui s’y rapportent visent la thématique des âmes en peine que l’on entend travailler à l’aval de la chapelle dans des ravins friables. Ainsi, explique-t-on la présence des éboulements et bruits dans les ravins du Merderel. C. Joisten a relevé un souvenir d’éboulements produits par des revenants malfaisants en rapport avec les crues du Merderel, affluent du Bugeon. Un récit de sa collecte met en scène des revenants qui, de leur vivant, avaient tenté d’assassiner le curé de Montaimont. L’éboulement pourrait être celui de 1812 qui a eu lieu à Beaurevers et emporta plusieurs hectares cultivés, ce qui a altéré le flux du Merderel.- cf. C. Joisten, 2009, pp. 112-113.

Les premiers jours de la vie

Albiez-Montrond (Maurienne) : Le bébé dans l’habitation-étable

« On vivait en commun avec les bêtes à ce moment-là. On était séparé par une cloison en planche. Les lits des plus grands enfants se trouvaient suspendus au-dessus des moutons avec une échelle pour monter; Parfois, une couverture tombait chez les moutons et on la reprenait ! Au pied du lit des parents, une large planche servait pour déposer le berceau. Il ne fallait pas que l’enfant ne voit le jour. Alors, on cachait la fenêtre avec une couverture. On voilait le berceau d’un tablier noir ou rideau, posé sur deux arceaux, et devait cacher complétement l’enfant. L’enfant était même saucissonné depuis les pieds jusqu’à la tête »

Saint-Jean-de-Maurienne, hiver 2000 (Mme Thérèse Martin, septuagénaire)

Saint-Sorlin d’Arves (Maurienne) : L’emmaillotement et le berceau du bébé

Mme Césarie Balmain, née en 1905 l’a fait pour ses enfants :

« Mais oui ! Et les miens, surtout ! Ah, bien dites ! Ah, bien bon sang ! Et si je vous l’avais fait voir, ça vous aurait bien amusé ! On avait un rouleau de toile qui leur faisait une huitaine de tours […]. C’est pas une curiosité ! […]. On avait un rouleau de toile et on mettait l’enfant... Si j’avais un modèle, une petite poupée, je vous ferai bien voir. Parce que j’ai emmailloté les miens. Je m’en souviens encore ! Mais ce n’était pas difficile, vous savez ! Il n’y avait pas besoin d’un moteur.

Q. : Comment on disait « emmailloter » en patois ?

- Ah bien, en patois, c’est un nom que vous n’aimeriez pas. On disait en français... On dit « emmailloter ». Et en patois - vous n’allez pas le retenir parce que vous... - on disait mayola […]. Oui, oui. On faisait un rouleau avec la bande […]. C’est pas une curiosité ! Ça amuse, ça fait rire. Ceux qui viennent de la ville, ils diraient « Mais ces pauvres gens, mais d’où c’est qu’ils sortent ! ». On faisait plus pitié qu’en ville […]. Oui. oui. Le bébé avait son petit bonnet blanc qui était tenu sous le menton. Et ils ont vécu comme ça... Et ça a fait des robustes ! Il y en avait des moins beaux, mais il y en avait des beaux aussi qui ne devaient rien à ceux de la ville ! […]. Le bri, le berceau ... Lou pyè, les langes. Mais mon Dieu ! Mais vous n’y avez jamais vu ? […]. Un berceau, mais vous avez vu un berceau ?! [...]. Eh bien, on mettait un peu de paille. On mettait de la paille d’orge parce qu’elle était plus douce. Moi, je peux vous le dire, on me l’a fait à moi […]. C’était pis (1) déjà bien tout perfectionné. Mais les miens, ils ont encore couché dans un bri, avec de la paille d’orge dans un sac. On faisait un sac en toile, un sac en toile du pays. On le bourrait de paille d’orge, la palle d’orge était beaucoup plus douce, vous savez, l’orge ? Eh bien, on le bourrait de paille et puis après, il y avait une grosse toile dessus. Et puis encore, le drap du berceau ! Eh bien, tu dormais bien. Seulement, il fallait les attacher. On mettait une couverture et les berceaux avaient des trous des deux côtés. Eh ! Mais vous n’y avez jamais vu ça ?

Q. : Comment on disait, en patois, « emmailloter » ?

- Mayola, voilà. Ecoutez, je le ferais encore maintenant: On faisait le rouleau, vous savez, la bande. Cette bande raide ... Nous, on l’appelait la mayola. C’est une bande de toile. On la roulait ... ça s’étendait ... ça, je vous le ferais encore voir, parce que j’°y ai fait aux miens. Je sais le faire !

Saint-Jean-de-Maurienne, année 2000 (Mme Césarie Balmain, née en 1905).

(1) Fr. rég. : particule post-verbale, variante : puis - Ici, particule est d’insistance et se charge de renforcer l’affirmation (véritablement, vraiment)

Celliers (Tarentaise) : Les catégories d’âges signalées par les habits

« Dès la naissance, il avait le petit bonnet, le gamin. D’ailleurs, quand on était gamins… Bon, il y avait le bonnet, puis après, bon, jusqu’à marcher… un petit peu qu’on grandissait… ils nous… on avait « la robe ». On portait la robe. Obligé ! Parce que les parents n’avaient pas le temps de s’occuper de nous, tout petit qu’on courait déjà dans le village ; par-là travers. Je ne sais pas moi, à un an. Moi, j’ai marché à un an, enfin, admettons à un mois… le gamin il fallait qu’il fasse ses besoins. Alors, on avait juste à se baisser et on faisait ses besoins. Alors, on avait « la robe » jusqu’à je sais pas quel âge (je peux pas dire)… jusqu’à… Ah oui, on avait la robe jusqu’à ce qu’on « soit propre », voilà ! Et une fois qu’on « était propre », qu’on était capable de s’essuyer, eh bien, qu’on « était propre », ils nous mettaient le pantalon. Alors là, on était heureux ce jour-là [rire] […] ».

Remplacer les galoches par des souliers est une marque évidente de passage d’un âge à un autre : « Les galoches : oh, ça vous tenait le pied ! C’était pas lourd, c’était… c’était pas dur. Quand j’ai eu mes premiers souliers, j’étais pas content. Mon père, il dit :

- Tiens !...

La première fois que je suis allé à Moûtiers, il allait à la foire, il dit :

- Tu descends avec moi. Je vais aller te commander des souliers.

Parce qu’ils les faisaient sur mesure à ce moment-là. Et dans la grande-rue, je me rappelle toujours… On se faisait faire les souliers. Bon. Quelques temps, on est allé les chercher et j’ai mis les souliers, mais j’étais pas content. Je les ai pas mis souvent. Ils sont restés tout neuf [rire]. Les galoches, c’est léger, c’est pas lourd, on est bien. On est serré, le pied là-dedans. C’est beaucoup mieux que le soulier. Ce qu’il y avait, les galoches : ça faisait du bruit. C’est clouté. Et alors, sur les planchers là-haut… c’étaient des planchers. Il y avait pas de moquettes [rire]. Alors, ça faisait du bruit, c’est drôle ».

Albertville, juin 2007 (M. Marius Léger, né en 1913).

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