LES ONZE PORTES D’AOSTE

onze portes aoste 1Ce texte est extrait de la revue du comité des traditions valdôtaines LO FLAMBO/LE FLAMBEAU, n° 197, printemps 2006. Nos adhérents, dont beaucoup connaissent la ville d’Aoste, y trouveront des précisions intéressantes sur l’enceinte de la cité et ses modifications au cours des âges. N. Messiez

A l’époque romaine, Aoste avait une enceinte de forme rectangulaire de 728 sur 575 mètres ; la superficie de l’emplacement était, donc, de 418 600 mètres carrés, c’est-à-dire 42 hectares. Les remparts, d’une épaisseur de près de deux mètres à la base, avaient une hauteur d’environ 6, 5 mètres ; les quatre portes principales avaient, chacune, deux tours auxquelles il faut en ajouter quatre pour chacun des coins du rectangle et huit le long du périmètre. Le total est, par conséquent, de vingt tours. La seule qui a gardé son aspect d’origine est celle du Pailleron (restaurée par Alfred d’Andrade en 1894) située en face de la gare d’Aoste.

Après la chute de l’Empire romain, Aoste a connu un fort déclin ; ce n’est qu’au cours du XIe siècle que la ville s’est, lentement, repeuplée. Les habitations furent rebâties le long des rues principales et la noblesse, encore à l’état d’embryon, utilisa les tours romaines abandonnées pour les transformer en maisons fortes.

Dans son ouvrage consacré à la vieille Aoste, Lin Colliard a établi que la cité d’Aoste avait, au Moyen Age, dix portes dont sept sur l’enceinte romaine, une en dehors de l’enceinte même et deux autres à l’intérieur de la cité. D’une façon détaillée, ce sont, du côté nord, la porte de la Rive (porta Sancti Stephani ou Augusta), de la Poterne et Pertuise ; sur le flanc sud, la porte Beatrix et de l’Echelle (ou du Pailleron) ; du côté est, la porte de la Trinité (porta Sancti Ursi ou porte prétorienne) et, à l’extérieur de l’enceinte, face à l’arc d’Auguste, la porte Chaffa, à l’ouest, vers Sarre, la porte Vaudagne et, à l’intérieur de la ville, les portes Ferrière et de Saint-Grat.

Or il semblerait que, d’après un court passage tiré d’un acte notarié portant sur une vente, les portes d’Aoste, au Moyen Age, aient été au nombre de onze, car il existait aussi, vers 1315, la porte du Mal Conseil. Le texte en question est très clair : un particulier vend une maison sise à Aoste « in loco dicto Mauli Consilii, prope portam Mali Consilii » . Le texte ne dévoile pas d’autres informations à ce sujet ; cependant, on a raison de croire qu’il s’agit bel et bien d’une porte méconnue jusqu’à présent. Il reste à savoir, évidemment, où il faut placer cette porte sise à l’intérieur de la cité. Le quartier du Mal Conseil , anciennement soumis à la juridiction des seigneurs de la porte d’Aoste, s’étendait, grosso modo, de la place Roncas jusqu’au carrefour des rues Croix-de-Ville, Malherbes et Mgr de Sales. Après cette date, la porte dont il s’agit n’est plus mentionnée ou, pour la précision, on n’a plus trouvé de citations la concernant. Il se peut donc qu’à cause de la perte de pouvoir des seigneurs de la Porte d’Aoste par l’intervention du comte de Savoie, cette porte, qui fermait vraisemblablement l’un des trois quartiers d’Aoste (celui du Mal Conseil), ait été abattue.

En ce qui concerne les autres portes, cela vaut la peine d’en dire deux mots. La Porte Prétorienne, jadis Porta Praetoria, est sans aucun doute la plus célèbre et la plus connue d’Aoste, car elle a maintenu intactes ses caractéristiques. Formée d’une construction double de trois arches chacune, séparée par la place d’armes, dont le passage central était carrossable, la porte était l’entrée principale de la ville du côté oriental. Par rapport à nos jours, le sol de l’époque romaine était inférieur de 2,60 mètres. La porte a été bâtie avec des blocs de « puddinga » (nom d’un matériau employé par les Romains) recouvert par des pierres verdâtres (originaires d’Aymavilles) et blanches. Au cours du Moyen Age, la porte prétorienne fut occupée, les deux tours comprises, par les seigneurs de la Porta Sancti Ursi puis sires de Quart. Jusqu’au XVIIIe siècle, les arches centrales de la porte étaient comblées par des bâtiments et seul le passage nord était libre. Ce qui expliquerait, par ailleurs, l’alignement de la rue, centrée justement sur l’axe nord.

La porte de la Rive ou de Saint-Etienne, jadis Porta principalis sinistra, existait, dès 1140 , sur la place Roncas ; à partir d’elle commençait l’itinéraire pour le Mont-Joux, aujourd’hui Grand-Saint-Bernard, l’un des axes routiers les plus importants de l’Europe au Moyen Age. Les deux tours de l’ancienne porte n’existent plus de nos jours. L’une, l’occidentale, a été remplacée par le palais Rolla (bâti au cours des années 30 du XXe siècle), sur le côté du palais Roncas, plus ancien. L’autre qui, au Moyen Age, était le siège d’une des familles nobles les plus puissantes d’Aoste, les De La Porta, fut enclavée à son tour dans la structure du couvent de la Visitation puis de la caserne Challant et, aujourd’hui, Musée archéologique régional. Le plan d’Aoste, dressé par Jean-Baptiste de Tillier vers 1730, atteste encore la présence de cette tour. Les souterrains du Musée en conservent encore les vestiges.

onze portes aoste 2La Porta decumana, puis Porte Friour ou du Plot, ou encore de Saint-Genis, de Savoie ou Boczana et, finalement, de Vaudagne, constituait l’entrée occidentale de la ville romaine. Là commençait la route pour le col du Petit-Saint-Bernard (Colonne Joux à l’époque médiévale), autre important axe routier valdôtain. Cette porte a existé jusqu’en 1812 ; par ordre du préfet du département de la Doire de l’Empire français, elle fut démolie pour permettre l’assainissement du quartier. Des deux tours de la porte, l’une est englobée en partie dans la Bibliothèque régionale et l’autre est encore visible presque dans son intégrité.

La Porta principalis dextera, puis porte Béatrix, était, parmi les autres, la plus simple car elle n’avait qu’un seul passage. Son but principal était l’accès au pont sur la Doire pour gagner les communes de l’Envers. Cette zone de la ville était contrôlée, au Moyen Age, par les vicomtes d’Aoste qui bâtirent leur tour (tour de Bramafan) sur les ruines d’une ancienne fortification romaine.
En dehors de la vieille enceinte romaine et, dans le détail, au-delà de la porte prétorienne, débute le bourg de Saint-Ours – le burgum Sancti Ursi ; cet ancien bourg, jadis entouré de murailles et d’un fossé , avait, à l’intérieur, un passage obligé pour entrer ou sortir de la rue Saint-Anselme (ancienne rue Bovarnier) : la porte Chaffa . Elle n’existe plus de nos jours. Elle fut abattue après 1774. Il n’en reste qu’une inscription gravée sur une pierre à son emplacement (Locus portae Sti Ursi vulgo Chaffa).
Au cours du Moyen Age, grâce à l’accroissement démographique de la ville et, par conséquent, à la nécessité d’avoir d’autres sorties secondaires, Aoste s’est dotée d’autres portes, à savoir la porte Perthuis, la porte Poterne et la porte de l’Echelle (Porta Scala).

La porte Perthuis ou Pertuise correspond en ligne directe avec la porte Echelle sise au sud de la ville. Elle avait sur l’un de ses flancs la tour des seigneurs de Perthuis. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, cette porte était aussi dénommée porte des Capucins. Elle fut abattue en 1865. La porte Poterne était une sortie auxiliaire sise entre les rues Saint-Joconde et Chanoux. Elle est visible sur le plan de Jean-Baptiste de Tillier de 1730. La porte Echelle est près de la Tour du Pailleron. Mentionnée une première fois en 1242, elle donnait accès aux prairies situées près de la gare actuelle . A partir de cette porte débutait aussi l’un des deux chemins conduisant au pont Suaz.

Aoste possédait aussi des portes à l’intérieur ; la plus célèbre est, sans doute, celle de Saint-Grat, la porta Sancti Grati des anciens textes. Elle était sise à une cinquantaine de mètres de la chapelle Saint-Grat et s’appuyait sur l’actuel débit de tabac. La première mention remonte à 1252 . Cependant, en 1309, elle signalée « portam novam ». Ceci impliquerait qu’entre 1252 et 1309 elle ait été rétablie car, dans le cas contraire, il n’y aurait pas eu nécessité de spécifier qu’il s’agissait d’une nouvelle porte. Elle est à nouveau mentionnée en 1448 ; à cette occasion, il est dit que la porte de Saint-Grat est près du « foro bestiarum » . Elle fut abattue définitivement en 1868.

L’autre porte intérieure est celle qui est dénommée porta Ferraria ou Ferrata ou, encore, Porta Fabris, la porte ferrée. Deux mentions de la première moitié du XVe siècle font état de son existence . Elle est mentionnée aussi à propos du trajet de la procession en l’honneur de saint Jean-Baptiste . Elle se trouvait à l’extrémité de la rue de Tillier et donnait accès à la place Saint-François, l’actuelle place Chanoux.

Enrico TOGNAN

Lo Flambò / Le Flambeau, revue du Comité des traditions valdotaines, 3, rue de Tillier – 11100 Aoste Italie

NOTES

1) AHR, Fonds Cordone, vol. X, doc. 44, 1315.

2) Les autres quartiers d’Aoste étaient Bicaria et Porta Sancti Ursi. Bicaria était le quartier le plus étendu ; il commençait à la Porte Vaudagne, c’est-à-dire la Porta decumana de la rue Edouard Aubert et finissait à la ponteille Perron, au début, donc, de la rue de la Porte Prétorienne. Le quartier Porta Sancti Ursi comprenait la rue de la Porte Prétorienne et finissait au Pont-de-Pierre. Quant au quartier du Malo Consilio, celui-ci s’étendait de la porte de la Rive, la Porta principalis sinistra, jusqu’au carrefour des rues Malherbes, Mgr de Sales et Croix-de-Ville. Le rectangle compris entre les rues Croix-de-Ville, Mgr de Sales, Xavier de Maistre et l’enceinte au nord de la ville était, d’après Lin Colliard, La vieille Aoste, Aoste, 1971, p. 40, sous le contrôle du clergé et jouissait de franchises et privilèges particuliers.

3) DUC, Joseph-Auguste, Histoire de l’Eglise d’Aoste, I, Aoste, p 360.

4) AHR, Fonds Cordone, vol. VI, p.701, 1311 : « domum que iacet in burgo de Porta Sancti Ursi . . . fines sunt de I parte strata de III lo fossal ».

5) ZANOLLI, Orphée, cartulaire de Saint-Ours (XVe siècle), in BAA, V, Aoste, 1975, pièce n° 489, 1297 : « pro domibus iuxta portam de Chaffa ».

6) DUC, Joseph-Auguste, Histoire de l’Eglise d’Aoste, I, Aoste, p 360.

7) - id. p. 317, n. 3.

8) AHR, Fonds Cordone, vol. VI, p. 693, 1309 : « item supra unam domum cum orto, fundamento, hedificio et antefacto que iacet in civitate Augustensis, in vico Sancti Grati prope portam novam . . . fines sunt de I parte strata . . . de V exitus ».

9) AHR, Fonds Cordone, vol. X, doc. 35, 1448 : « domum orto, curtibus, plateis, tabullis ( ?) . . . que iacet in civitate Augustentis prope portam Sancti Grati, videlicet in foro bestiarum . . . unacum quoddam pillorio ».

10) PATRONE, Anna Maria, Liber reddituum Capituli Auguste, Torino, 1957, p. 120 : « apud civitatem Auguste versus portam de Fabris ».

11) AHR, Fonds Cordone, vol X, doc. 22, 1433 : « unam parvam plateam iacentem Auguste loco dicto Perron prope portam ferratam » et AHR, Fonds Cordone, vol X, doc. 66, 1434 : « videlicet galeriam pontem ambulatorium seu lobiam sitam in civitate Augusta supra et inter murum domus episcopali Auguste et murum dicti hospitali de Naboysson et supra stratam publicam qua protenditur a porta ferraria dirrecte verus portam Vaudanam per curtem ville pro parte tamen lobie seu cameram sibi contengentis ad cameram dicti hospitalis ».

12) ZANOLLI, Orphée, Les « Obitus » et les notes marginales du martyrologue de la Cathédrale d’Aoste (XIIIe siécle), in BAA, XIII, Aoste, 1982, p. 36, pièce n° 141 : « Fiat processio solempnis per civitatem Auguste . . . videlicet per vicum prope frattres Minores et per portam Ferrarium usque ad Crucem Ville ».