Le livre de raison de Jean Michel Cachat (1755-1820), guide et paysan chamoniard

par Daniel Chaubet

Article paru en décembre 1998 dans L’Histoire en Savoie magazine (supplément)

Jean-Michel Cachat est l'un des grands guides de montagne de l'époque héroïque. Entre 1787 et 1788, il a, notamment, fait la « première » de la traversée du col du Géant (3365 mètres), ainsi que les deuxième, troisième, quatrième et cinquième ascensions du Mont-Blanc. Il a accompagné H.-B. de Saussure dans son séjour au col du Géant, ainsi que dans le périple d'un mois que le savant genevois fit « autour du Mont-Rose ». Dans son « livre de raison », manuscrit détenu actuellement par le Conservatoire d’art et d'histoire d'Annecy, il nous fait part des principaux événements qui ont marqué son existence, qu'il s'agisse de sa vie de paysan, de ses activités communales, de ses courses en montagne. Cette pratique typiquement chamoniarde n'est mentionnée que d'une manière succincte, mais cette brièveté est en elle-même un témoignage de la mentalité de l'époque.

Un esprit curieux pour une œuvre ethnographique et statistique

Membre de la fameuse Compagnie des guides de Chamonix à sa fondation (1821), il en fut rayé deux ans après, car le règlement de 1823 imposait une limite d'âge de soixante ans; ceci n'empêcha pas l'intendant du Faucigny de Je réintégrer en 1824 et ce jusqu'en 1829 (date à laquelle il avait soixante-quatorze ans (1) et montre donc quelle estime on devait lui porter. Mais c'est aussi et surtout un paysan qui exploite son petit domaine familial, entretient et répare son matériel, un charpentier qui préside aux levées 1 des maisons et participe intensément à la saison des alpages. C'est enfin un petit notable, procureur d'alpage, responsable dans les confréries, conseiller municipal, sergent dans la Garde nationale et qui fut chargé de multiples missions à Cluses et à Bonneville pendant la période révolutionnaire.

Son « livre de raison » révèle comment, jour après jour, se déroulait, il y a deux siècles, la vie des montagnards des hautes vallées, avec les labours, les semailles, les foins, les récoltes, le traitement des plantes textiles, les soins aux animaux et, naturellement, la montée et le séjour des troupeaux dans les pâturages d'altitude. Il y avait aussi les occupations de la mauvaise saison, l'enlèvement des pierres, le foin à aller chercher dans les chalets d'alpage, le travail du bois, Je tan­ nage des peaux...

En outre, Jean-Michel Cachat s'intéresse à ce qui se passe autour de lui, note les heurs et les malheurs de ses voisins, le passage des montreurs d'ours, le temps qu'il fait, les hauteurs de neige (on verra que l'irrégularité des saisons est chose ancienne), les avalanches, les tremblements de terre, observe les comètes, etc. ; il indique qui furent les membres des assemblées locales, le nom des curés et des vicaires de sa paroisse, le coût des services religieux, le montant des quêtes et beaucoup d'autres choses encore.

Enfin, il a vécu une période particulièrement riche en événements: il fut, tour à tour, sujet des rois sardes Charles-Emmanuel III et Victor-Amédée III, Français sous la Révolution et l'Empire, occupé par les Autrichiens, puis à nouveau Sarde sous Victor-Emmanuel 1er, Charles-Félix et Charles-Albert. Grâce à son récit, on pénètre au cœur des mentalités d'une époque, on voit comment tous ces événements ont été ressentis au fond d'une vallée alpine comme celle de Chamonix, comment les révolutionnaires ont tenté d'imposer l'ordre nouveau, ce que furent les réquisitions et les incidences sur la vie religieuse. Ce dernier point à son importance: comme la plupart des habitants de la vallée, Jean-Michel Cachat, chrétien sincère (mais non sectaire, car on le voit déplorer que son curé ait refusé d'enterrer religieusement une femme qui s'était suicidée), a profondément souffert du départ forcé des prêtres. Le récit de Jean-Michel Cachat comporte un grand nombre de renseignements chiffrés sur ce qui a été semé et récolté, les gages du personnel, les productions de fromage les impôts, l'importance du cheptel, Je nom des personnes qui ont joué un rôle à l'époque, toutes ces indications précieuses faisant de son « livre de raison » un témoignage original pour son temps et une source statistique intéressante.

Données démographiques

Jean-Michel Cachat a estimé la population du département du Mont-Blanc (2) à 423 635 habitants en 1789 et à 408 584 habitants en 1796. Il est intéressant de comparer ces chiffres avec ce que l'on trouve dans le Dictionnaire historique et statistique de Grillet qui est de la même époque (1807). Il ne faut toutefois pas oublier qu'en 1798 une partie du département du Mont­ Blanc a été rattachée à Genève et au pays de Gex, pour former le département du Léman. En se reportant aux Textes d'accompagnement de l'Atlas historique de Savoie de Mariotte et Perret, on constate que la quasi-totalité des communes figurant chez GriJlet, au titre du Léman, dans les cantons de Carouge, Chêne-Thonex, Frangy et Saint-Julien était comprise dans le département du Mont-Blanc d'origine, ce qui représente environ 40 000 habitants. En ajoutant ce chiffre au total des arrondissements de Chambéry, Annecy, Moûtiers et Saint-Jean-de-Maurienne qui n'ont pas bougé, nous arrivons, en 1807 et selon Grillet, à un total de 430 000 habitants, chiffre tout à fa comparable à ce qu'avait indiqué Jean-Michel Cachat. Ces chiffres ont été arrondis car un doute subsiste sur quelques petites communes.

Pour Chamonix, Jean-Michel Cachat a décompté 1503 habitants en 1786- 1787, 1875 habitants au recensement de 1828 et 1838 habitants en 1833. Il est intéressant de noter qu'en 1833, et à la différence de ce qui avait été fait en 1828, on n'avait pas compris les domestiques qui sont en dehors de la paroisse. La population des Houches s'élevait à 1 194 âmes en 1786- 1787. Par comparaison, le chiffre de Grillet (1807) pour Chamonix est de 1 925 habitants.

Données économiques et financières

Certains chiffres communiqués par Jean-Michel Cachat donnent un aperçu du coût de la vie de l'époque. En matière de crédit, un certain nombre d'organismes locaux tels que le collège, la Compagnie des guides, les confréries comme la Boîte des âmes du purgatoire, disposaient de fonds qu'ils prêtaient aux particuliers (rentes constituées approximativement entre 1750 et 1800). L'intérêt, ou Je cens suivant la terminologie de l'époque, était de 4%. En ce qui concerne les denrées, il ressort des indications relevées par Jean-Michel Cachat pour la période 1816-1817 que leurs prix sont particulièrement élevés:

  • Avoine : 2 livres le quart (3)
  • Pommes de terre : 20 à 25 sols le quart
  • Pot de vin : 30 à 40 sols (4)
  • Cidre : 12 à 14 sols le pot
  • Eau de vie : 4 livres le pot

Enfin, en matière de fiscalité, Jean-Michel Cachat distingue trois types de prélèvements. Tout d'abord, sa contribution au titre des impôts fonciers, personnel et mobilier, portes et fenêtres (patente non comprise) s'établit pour l'année 1807 de la manière suivante:

  • Chamonix – Foncier : 5 254,48 / Personnel et mobilier : 852,72 / Portes et fenêtres : 490,58 / Total : 6 597,78
  • Les Houches – Foncier : 3 965,59 / Personnel et mobilier : 588,70 / Portes et fenêtres : 298,89 / Total : 4 852,55
  • Vallorcine – Foncier : 1 239, 15 / Personnel et mobilier : 208,98 / Portes et fenêtres : 83,85 / Total : 1 531,98
    (Les montants sont exprimés en livres)

Le total des impositions personnelles pour le département du Mont-Blanc s'élevait en outre à 90 000 livres pour l'an VII et à 147 000 livres pour l'an VIII.

Jean-Michel Cachat était aussi assujetti à l'impôt du sel :

  • en 1788, 2 deniers et 3 douzains la livre
  • en 1789, 2 deniers la livre
  • en 1790, 2 deniers la livre
  • en 1791, 2 deniers 3 douzains la livre.

Enfin, il dut encore subir les réquisitions durant la Révolution :

  • en 1793, il fournit six mulets (valeur estimée pour la plupart 700 à 800 livres (5) chacun) ;
  • en 1794, six vaches et trois mulets;
  • en mai 1794, 113 livres de beurre et 158 de fromage ont été envoyées à Paris, à l'automne, 27 1 livres trois quarts de fromage et 325 livres trois quarts de beurre aux mines de Servoz;
  • en juin 1794, 600 boisseaux d'avoine (payés 1 livre 8 sols Je boisseau);
  • en octobre 1794, 70 quintaux de foin et 10 quintaux de paille;
  • en novembre 1794, 70 quintaux de foin 40 quintaux de pailles, 10 quintaux de seigle, 10 quintaux d'avoine et 4 quintaux d'orge;
  • en mars 1795, 50 quintaux d'avoine et 40 quintaux de foin (payés en novembre 1795 à raison de 75 livres de quintal et 25 livres le quintal pour le foin).

La vie religieuse

Les populations étaient très attachées à leurs prêtres et aux pratiques religieuses. Le départ des ministres du culte, entraînant la suppression des messes, a été douloureusement ressenti. On note également un grand attachement à des pratiques plus « concrètes » comme la distribution du pain bénit et à la possibilité ou non de faire gras pendant le Carême. Le cloches ont aussi une grande importance et leur envoi à la fois pour faire des canons a été une catastrophe pour les Chamoniards: un village sans sonnerie de cloches respire la tristesse et on ne peut même plus annoncer les départs pour le Mont-Blanc!

Parmi toutes les observations et données consignées par Jean-Michel Cachat figure entre autre la liste des curés et des vicaires de la paroisse de Chamonix (6) :

Curés / Prise de fonction / Cessation

  • Joseph Révillod
  • Jean-Claude Clarésy / 4 décembre 1803 / Fin juillet 1815
  • Jean-Nicolas Gerdil / 21 juillet 1815 / 8 avril 1817
  • François-Marie Desjacques / 17 décembre 1820 / 14 décembre 1820
  • Jean-François Périssoud / 2 janvier 1818 / 17 décembre 1824
  • Michel Simond / 22 décembre 1824 / 13 août 1828
  • Pierre Vernaz / 28 août 1828 / 3 octobre 1833
  • Jean-François Lanvers / 12 octobre 1833 / ---

Vicaires / Prise de fonction / Cessation

  • Claude Trombert / 4 décembre 1803 / 7 juillet 1808
  • Cruz / 20 juin 1809 / 8 juillet 1812
  • Bremon / 30 septembre 1812 / 27 janvier 1813
  • Cruz / 25 décembre 1813 / 25 septembre 1815
  • Victor Babaz / 16 octobre 1815 / 11 novembre 1816
  • Joseph-Marie Passon / 25 novembre 1816 / 11 décembre 1818
  • Jean Châtillon / 14 janvier 1819 / 31 juillet 1819
  • Jean-Antoine Grébon / 31 juillet 1819 / 22 septembre 1820
  • Tissot / 19 avril 1821 / 6 mars 1822
  • François Vallet / 11 avril 1822 / 5 mai 1824
  • Jean-Marie Ballmand / 5 mai 1824 (environ) / 27 décembre 1827
  • Antoine Lacombe / fin décembre 1827 / 20 octobre 1829
  • Joseph-Marie Morand / 24 octobre 1829 / 29 janvier 1832
  • Pierre-Joseph Chenvis / 27 janvier 1832 / ---
  • Joseph-Gaspard Caux / --- / 17 octobre 1834
  • Melchior Bouquet / 16 novembre 1834 / 13 août 1834
  • Nicolas Pissard - 24 août 1837 / ---

Éléments naturels

Les « Caprices » de la nature et leurs conséquences particulières au regard de la spécificité des pays de montagne faisaient partie intégrante de la vie quotidienne de ces populations à tel point que les événements exceptionnels devenaient souvent des points de repère de la mémoire collective. En matière de « climatologie », on ne peut demander à Jean-Michel Cachat de faire des statistiques précises et les renseignements fournis sont assez épars et diversifiés. Dans les mois de mars et avril, les hauteurs de neige sur Je toit des maisons restent souvent importantes. Des observations faites par notre « nivologue amateur », il ressort par exemple que les hivers 1784-1785 et surtout 1788- 1789 furent rudes et enneigés; les millésimes 1792- 1793 et 180 1- 1802 ont été des hivers longs ; l'hiver 1796- 1797 fut quant à lui doux; enfin les hivers 1793-1794, 1796- 1797 et 1802- 1803 furent tardifs (les bêtes ont pu se rendre en champ jusqu'en janvier).

Les catastrophes naturelles sont par excellence des événements exceptionnels qui retiennent tout particulièrement l'attention des populations: Jean-Michel Cachat s'intéresse surtout aux avalanches, mais il note aussi les inondations et les tremblements de terre. On peut penser que ceux qui ont retenu son attention étaient particulièrement spectaculaires. Les avalanches relevées par Jean-Michel Cachat sont survenues aux dates suivantes: 30 novembre 1785 , 12 février 1793, 18 février 1795, le 1er février 1799, 15 août 1799 (gros éboulements aux Tissourds), 27 décembre 180 1, 28 février et 20 août 1802, 28 février 1805, 10 février 1807, 23 janvier 1809, 16 février 1812, 4 mars 1817, février 1831, 28 février 1832, 12 août 1837 et 11 janvier 1839.

Deux inondations ont été tout particulièrement consignées par Jean-Michel Cachat : le 29 octobre 1778, l’Arve déborde et emporte de nombreux ponts dont celui de Saint-Martin; le 1erjuillet 1804, l’Arve emporte dix ponts. Enfin, Jean-Michel Cachat a relevé les tremblements de terre survenus aux dates suivantes: 4 octobre et 14 octobre 1803, 23 juin 1810, 6 avril 1811, 11 février 1817 (plusieurs secousses) et 14 mars 1817 (deux secousses).
Si certaines de ces catastrophes naturelles avaient des conséquences fa pour les populations, Jean-Michel Cachat livre pêle-mêle la liste funèbre de quatre-vingt-huit « morts imprévus » (de manière accidentelle ou non expliquée) survenus entre 1787 et 1838 :

  • Travaux en montagne 25%
  • Noyés 20,5%
  • Lors d'une course en montagne 13,6%
  • Dans une avalanche et assimilé 1 1,3%
  • Trouvés morts chez eux 1 1,3%
  • Rixe et assassinat 4,5%
  • Suicidés (pendus) 4,5%
  • Accidents domestiques 3,4%
  • Autres causes de décès 9, 1%.

L'agriculture

Sur ce qui représentait l’activité principale des populations d'une communauté montagnarde type, Jean-Michel Cachat livre un certain nombre de chiffres concernant la saison des alpages, les récoltes et la rentabilité des terres. La vallée de Chamonix disposait d'un important cheptel. Les consignations ordonnées par le gouvernement français le 10 novembre 1794 permettent d'en avoir une idée. Il y avait alors six cent quatre-vingt-douze vaches, cinq taureaux, cent quarante-huit génisses, cent trente-six veaux, cinq juments, vingt et un poulains, cinq mules de bât, vingt-trois béliers, soixante-dix brebis, trente agneaux, cinq cent quatre chèvres et vingt-neuf cochons. On s'étonnera du petit nombre de mulets indiqué. Pour sa part, Jean-Michel Cachat avait déclaré en janvier de la même année trois vaches, une génisse, un veau, deux chèvres, trois brebis et une mule.

L'un des principaux alpages de la vallée est celui de la Flégère, situé dans le massif des Aiguilles Rouges, à la hauteur des Praz et d'une altitude allant de 1 700 à un peu plus de 2 000 mètres. C'est à celui-ci que se rapporte les indications de Jean-Michel Cachat :

cachatAnnée / lnalpage / Désalpe / Vaches / Génisses / Fromage / Sérac

  • 1784 / 26 juin / 11 septembre / 36 / -- / 120 / --
  • 1785 / 5 juillet / 10 septembre / 62 / 12 / -- / --
  • 1786 / 4 juillet / -- / 77 / -- / -- / --
  • 1787 / 9 juillet /7 septembre / 71 / 8 / 124 / 22
  • 1788 / 2 juillet / 17 septembre / -- / 118 / 22 / --
  • 1789 / 15 juillet / 17 septembre / 76 / 14 / 108 / 20
  • 1790 / 28 juin / -- / 89 / 11 / -- / --
  • 1791 / 7 juillet / -- / 80 / 13 / -- / --
  • 1792 / 10 juillet / -- / -- / -- / -- / --
  • 1793 / 5 juillet / 17 septembre / 76 / 11 / 107,5 / 22
  • 1794 / 27 juin / 9 septembre / 77 / 8 / 126 / 26
  • 1795 / 6 juillet / 10 septembre / 80 / 7 / 102,5 / --
  • 1796 / 7 juillet / 16 septembre / 69 / 10 / 118 / 22,5
  • 1799 / 30 juillet / 7 septembre / -- / -- / 73,5 / 14,5
  • 1800 / 26 juin/ 28 août / 54 / 30 / 114 / 20
  • 1801 / 3 juillet / -- / -- / -- / --
  • 1802 / 15 juillet / 17 septembre / -- / -- / 100 / 23
  • 1804 / 9 juillet / 4 septembre / 60 / -- / 95 / 16
  • 1805 / 17 juillet / -- / 66 / -- / -- / --
  • 1807 / 4 juillet / -- / 69 / 26 / -- / --
  • 1812 / 20 juillet / 7 septembre / -- / -- / 106 / 22

Les productions de fromage s'entendent en livres « par buche », la buche correspondant à une part d'alpage. En 1784, il est indiqué qu'il y avait seize buches un quart, ce qui donnait donc un total de 1950 livres; le nombre de buches n'est pas précisé pour les autres années, mais on peut penser qu'il n'y avait pas de variations considérables. Le mieux payé était le fruitier, celui qui fabrique le fromage : en 1784, il touchait 35 livres. Venaient ensuite le maître-berger (21 livres), le boucher (sans indication) et le petit berger (12 livres). Pour les années 1789 et 1791, les gages étaient respectivement de 43 livres 24,5 livres 13,5 livres et 13,5 livres, ce qui représente pour ces deux années une moyenne de deux chiffres très voisins.

En matière de récoltes, les indications fournies par Jean-Michel Cachat sont très nombreuses, aussi est-il impossible de restituer une comptabilité si dense et méticuleuse; il est néanmoins possible de tracer une moyenne. Sur une période s'étendant de 1788 et 1813, avec quelques trous, un paysan moyen comme Jean-Michel Cachat récoltait chaque année environ 170 quarts d'avoine, 15 quarts de seigle, 15 quarts d'orge, 11 quarts de froment, 3 quarts de fèves et 1,5 quart de pois. Quant aux plantes textiles (lin et chanvre), les renseignements sont trop fragmentaires. Les semailles se font en avril, les foins en juillet, les moissons en août et on bat le grain fin novembre-début décembre. Les pommes de terre se plantent entre la fin avril et le 15 mai, l'arrachage (selon la terminologie utilisée, cela s'appelle creuser les pommes de terre) a lieu fin septembre-début octobre.
Pour la rentabilité des terres, un calcul effectué en 1798 pour trois propriétaires de la vallée, qui s'étaient partagés des biens appartenant auparavant au chapitre de la collégiale de Sallanches, montre un produit net à l'hectare de (après conversion) 36, 33 et 17 livres pour les champs et 45 livres pour les prés.

L'intérêt pour les chercheurs d'étudier les livres de raisons ne se dément pas, celui établi par Jean-Michel Cachat n'y déroge pas. Reflet des mentalités d'une époque, source d'informations multiples sur des périodes significatives (la vie d'un homme), le « livre de raison » constitue une autre manière d'écrire l'histoire pour les historiens d'aujourd'hui. Ces documents manuscrits sont peu nombreux, mais leur rareté renforce justement leur intérêt: comparés à d'autres livres de raison, ils peuvent fournir une photographie fidèle des caractéristiques d'une société à un moment donné ou permettre d'établir des évolutions sur une durée définie. Ces écrivains amateurs deviennent ainsi pour les historiens actuels des observateurs dont les notes - dont la sécheresse n'a d'égal que la dureté des hommes et de l'environnement dans lequel ils vivaient - sont précieuses et mériteraient que leurs contributions respectives soient portées plus systématiquement à la connaissance du public.

(1) Lever une maison signifie en dresser la charpente.
(2) En 1789, le département du Mont-Blanc n'existait pas encore, mais J.-M. Cachat a dû faire une assimilation avec ce qui sera créé en 1792.
(3) Mesure de capacité pour matière sèche, soit environ 14 litres dans la vallée de Chamonix.
(4) Une livre valait 20 sols, un sol valait 12 deniers et un denier 12 douzains. Le pot n'avait pas partout la même contenance, mais elle était de l'ordre de 1,5 à 2 litres.
(5) À comparer avec une offre (refusée, car sans doute estimée trop basse) de 17 louis faite en 1794 pour un mulet appartenant à J.-M. Cachat.
(6) Certains des prénoms, qui manquaient chez J.-M. Cachat, proviennent du Dictionnaire du clergé de Rebord et Gavard. Comme l'auteur du manuscrit l'a souligné, il est arrivé aux Chamoniards de rester un certain temps sans curé et surtout sans vicaire.

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