Adrien Rey-Golliet : un radical en Tarentaise au début du XX siècle (2/2)

Un radical typique au zenith de la "belle époque"

La situation politique avant 1909 en Tarentaise

Au point de vue parlementaire, de 1876 à 1885, le mouvement Républicain est incarné en Savoie par Nicolas Parent, député de Chambéry-nord, puis sénateur ; en Tarentaise par Daniel Mayet (juriste et hôtelier, conseiller municipal de Moûtiers, conseiller d’arrondissement et maire de Bourg-Saint-Maurice) ; puis de 1889 à 1899, par Francis Carquet (juriste et conseiller général). Mayet et Carquet représentent le courant des républicains opportunistes ou modérés, courant qui devait se heurter au radicalisme du docteur Empereur.
En Tarentaise, le docteur César-Constantin Empereur (1848-1929), natif de Sainte-Foy, conseiller général de Bourg-Saint-Maurice, devient la figure de ce courant républicain novateur. Jugeant les opportunistes trop modérés face aux changements nécessaires à la nation, il se présente contre Francis Carquet. En 1899, à la mort de ce dernier, il est élu député sans concurrent. Soutenu par les radicaux et reconnu pour son travail en faveur de la Tarentaise, le docteur Empereur est réélu en 1902 contre le général Zédé, « républicain nationaliste », puis réélu contre le banquier de Riols de Fonclare en 1906, à une époque où les radicaux sont de plus en plus majoritaires dans le mouvement républicain.
Le docteur Empereur est élu sénateur en 1909. Il rend possible l’adoption au Parlement du fameux prélèvement sur jeux en faveur des travaux d’adductions d’eau potable de nos communes. Battu aux élections de 1920, il se retire de la vie politique, officier d’Académie et auteur d’ouvrages de médecine. Cet homme « d’un abord un peu rude, mais d’une franchise indéniable », pour reprendre Le Petit Savoyard (de nature susceptible, dit-on encore), a vécu une période charnière de la IIIe République.

Adrien hésite à se porter candidat

Un petit fonds de correspondances privées - entre Adrien Rey-Golliet et quelques républicains de Tarentaise - témoigne de la « température » électorale de 1909 dans l’arrondissement . Le poste d’Empereur est très convoité, même au sein du « clan » républicain, mais les républicains cherchent à s’unir pour faire front à leurs adversaires. Les candidats au Congrès républicain sont nombreux. Les rumeurs parlent de Me Adolphe Jorioz, président du Conseil général, de Gabriel Donnet, d’Emile Machet (maire de Bozel), des avocats Victor Gerfaux et Ruffier-Lanche, du secrétaire de la sous-préfecture Emile Ancenay… Pendant deux mois, le Congrès paraît muet. C’est dans ce contexte qu’Adrien Rey-Golliet, très hésitant si on en juge les correspondances lues, demande l’avis de quelques amis, cousins et républicains de la Tarentaise. La première lettre de ce petit fonds de correspondance date du 8 janvier, écrite par un journaliste de L’Avenir Savoyard (Organe des sociétés républicaines, rue Vaugelas à Annecy) : Antoine Borrel. Adrien le connaît depuis quelques années. Antoine Borrel lui dit que « de toutes parts », on l’invite à poser sa candidature pour remplacer le docteur Empereur.

« De toutes parts en Tarentaise, on m’invite à poser ma candidature pour remplacer M. Empereur. Je ne serai pas candidat contre M. Jorioz mais s’il y a un congrès je me présenterai. Voudrais-tu avoir l’obligeance d’envoyer un mot en ma faveur - si ma candidature est susceptible de te plaire - à tes nombreux amis de Tarentaise. Bien cordialement A. Borrel ». Le 10 janvier 1909, Adrien s’adresse à Antoine Borrel : « Je suis moi-même pressenti par des comités de l’Arrt, par des instituteurs de Tarentaise, et par des Présidents de Sociétés Tarines de Paris pour poser ma candidature au siège que M. Empereur laisse vacant, et il est plus que probable que je vais me présenter devant le Congrès - congrès qui doit avoir lieu, paraît-il, dans le courant du mois prochain. Nous nous y rencontrerons à Moûtiers. Notre entrevue ne pourra être que très cordiale ; nos décisions, guidées par l’intérêt supérieur de la République, seront conformes aux traditions de discipline républicaine ; = Je soutiendrai alors, avec toute l’ardeur et toute la loyauté que tu me connais, ou le drapeau républicain s’il m’est confié, ou le candidat que le Congrès aura désigné ». Au 12 janvier, A. Borrel connaît le nombre des candidats supposés : « Mon cher Adrien, Ta candidature porte à 6 le nombre des candidatures jusqu’à présent envisagées ; - écrit-il à Adrien - elle me surprend un peu car à Moûtiers il n’en a pas encore été question. Comme tu le dis la lutte entre nous ne peut qu’être courtoise et comme toi je me conformerai aux règles de la discipline républicaine. Je trouve que l’on tarde trop pour la convocation du Congrès, en présence des candidats réactionnaires il y aura certainement des conférences publiques et contradictoires à faire dans toutes les communes, or si le candidat est trop tardivement désigné il lui sera difficile d’aller partout. affectueusement à toi. A. Borrel. Mes respects à Madame ».

Dans les brouillons de ses lettres (du 11 au 14 janvier 1909), Adrien Rey-Golliet montre qu’il hésite à se présenter au Congrès. Ce sont ses amis, le milieu enseignant de Tarentaise et de Paris, une grande partie de la colonie savoyarde de Paris, qui le pressent à candidater. On constate chez Adrien Rey-Golliet un point faible : bien que ses parents résident aux Avanchers et une grande partie de sa famille dans l’arrondissement, qu’il soit lui-même d’origine paysanne, son éloignement de la Tarentaise reste problématique comme le lui souligne Raffort. Est-il mieux connu des Savoyards de Paris ? Dans l’arrondissement de Moûtiers, Adrien bénéficie surtout du soutien du milieu de l’instruction publique. Charles Duittoz a raison de dire qu’Adrien a pris du retard à diffuser ses idées et son programme. Sur ce point, Borrel semble avoir devancé tous les autres candidats. Les lettres donnent l’impression qu’il est présent partout.

Un manuscrit rédigé par Adrien Rey-Golliet nous fait connaître ses choix politiques en 1909 : la rédaction de son programme est un document de fond qui reflète celui du Parti radical à Nancy, en 1907. Ce brouillon servira de support à Adrien pour ses allocutions publiques devant l’électorat tarin de 1909.

Il indique ses résolutions : « Si je suis votre député : Mes résolutions : Je démissionne de l’emploi que j’occupe actuellement. De plus : je prends l’engagement de ne me livrer à aucun commerce, ni à aucune fonction d’adon financière quelconque. Je fixe mon domicile à Aigueblanche mais j’irai résider, pendant les grandes vacances parlementaires 8 jours à Moutiers pour que mes compatriotes me trouvent plus facilement 8 jours à Bozel 8 jours à Aime 8 jours à Bourg-St-Maurice. J’entends rester en contact permanent avec le Comité Central Républicain de Moûtiers et tous les Comités Républicains des Communes. Je rendrai compte de mon mandat ds chaque chef-lieu de canton au moins une fois par an. Je prends l’engagement formel de visiter toutes les communes sans exception au moins une fois par an ». Avant de relater son parcours d’homme (partie qu’il intitule « Mes références ; Ma vie »), Adrien écrit cette pensée : « « Le passé d’un homme c’est le plus sûr garant de son avenir ». Il est indispensable, pour une Démocratie, qu’elle s’enquiert de la valeur de ceux qui briguent l’honneur de la représenter : elle s’évitera ainsi de graves désillusions ». Adrien prouve qu’il est toujours resté en lien avec la Tarentaise et l’arrondissement, que si les exigences de la vie l’ont poussé à Paris, il a toujours été l’ami « sûr et sincère » de ses compatriotes savoyards et que sa maison a toujours été la leur. Il ne leur a jamais refusé « appui, aide, ou protection ».

Il définit son appartenance politique. Ses opinions « n’ont jamais varié », affirme-t-il : « Républicain radical socialiste » en quittant Les Avanchers, il l’est toujours en 1909. Il se dit serviteur « discipliné et vigilant » des institutions républicaines. Enfin, il retrace son existence, sa collaboration aux œuvres d’instruction, d’éducation et de mutualité, ses manifestations politiques en Savoie et à Paris (contre le Boulangisme et les Camelots), sa participation à la création de la Société Républicaine de Tarentaise qui développe la scolarité en Tarentaise, son dévouement au Groupement [Groupe] Fraternel Savoyard qui compte un sénateur et quatre députés savoyards républicains : « il y a dans ce groupe une force considérable : cette force, il est entendu que si je suis votre élu, je la mettrai au service de toutes nos communes ». En parlant de sa collaboration aux œuvres de solidarité savoyarde, il dit s’être toujours appliqué « à alléger les souffrances de tous ceux de nos compatriotes que le malheur accablait » (placements et rapatriements), citant Bozel et La Thuile de Montagny (incendies). Il traite aussi de sa collaboration « au développement de tout ce qui peut augmenter la richesse de mon arrondissement » (conférences sur la Savoie et apport de touristes au Pays), souligne qu’il a fait aboutir des demandes (par exemple, l’acquisition de l’alpage de Beaudin aux Avanchers en 1899). « Je viens de faire décider la création d’une bibliothèque régionale qui sera établie à Moûtiers et dont les ouvrages seront mis à la disposition de tous les comités républicains etc etc ! ».

Adrien Rey-Golliet développe son programme (« Mon attitude politique ») : si les Tarins l’élisent, il affirme « veiller » à la Chambre, « d’une façon jalouse sur les Institutions Républicaines que notre Pays s’est données = Loi de Séparation. Empêcher que les partis confessionnels n’empiètent sur les Institutions laïques. Collaborer d’une façon très étroite avec tous les partis de gauche ». Il est donc favorable à un Bloc des gauches, mais cette entente avec la gauche socialiste ne signifie pas une absorption du radicalisme dans le socialisme. En véritable radical, il s’oppose aux socialistes du point de vue économique et militaire. « Ne faire aucune alliance ni avec les réactionnaires - ceux qui rêvent de rétablir les régimes déchus, ou qui se livrent à une opposition systématique lorsqu’il s’agit de réformes en faveur de la Démocratie. Ni avec les révolutionnaires - ceux qui prêchent le refus d’obéissance aux lois militaires, la désertion en cas de guerre et le sabotage ». Et Adrien conclut : « Ni réaction, ni Révolution ». Il incarne la tendance du Parti radical-socialiste : un parti tiraillé entre son aile droite et son aile gauche. Il existe des barrières infranchissables entre radicaux et socialistes. On a déjà expliqué qu’Adrien s’est trouvé parmi les adversaires des militaires nationalistes à l’esprit monarchiste. Le Parti radical rêve d’une armée de citoyens à l’esprit défensif et non guerrier. Fidèle à un patriotisme pacifique, il s’oppose à la droite nationaliste, mais également à la gauche socialiste internationaliste. Nous sommes en 1909, soit deux ans après la campagne de Gustave Hervé, campagne très antimilitariste. Dans tous les congrès du Parti radical depuis 1901, l’alternative des radicaux réfute les abus de l’esprit militaire, mais honore le devoir militaire, la véritable armée étant celle qui doit défendre le régime des droits de l’homme en danger. Les allusions d’Adrien au « refus d’obéissance aux lois militaires », à la « désertion en cas de guerre » et au « sabotage » évoquent nettement son esprit patriote et son refus de l’anarchie. L’anarchie risquerait de nuire à la nation en cas de défense nationale… Serge Berstein signale combien la propagande des socialistes reste un « obstacle infranchissable à l’entente » entre eux et les radicaux au point de vue militaire. En 1907, les principaux représentants du parti signent une motion dans laquelle le congrès dit ne pas vouloir séparer la Patrie de la République. Il impose à tous les adhérents du parti : « le devoir de refuser leurs suffrages à tout candidat qui préconiserait la désorganisation des armées de la République, soit par la désertion en temps de paix, soit par l’insurrection et la grève générale devant l’ennemi (applaudissements répétés). Sous cette réserve, et répudiant toute compromission avec les partis réactionnaire et conservateur (très bien ! très bien !). Le Congrès déclare que le Parti radical et radical-socialiste reste résolu à continuer, avec la collaboration de tous les éléments du Bloc des gauches, l’œuvre des réformes sociales qu’il a promis au pays » . Le congrès de 1911 critique la propagande des socialistes : « Je dis, s’écrie Dalimier, qu’aucune collaboration sérieuse ne saurait exister entre nous et un parti qui garde le silence en face des pires campagnes de désertion et d’anarchie ». Edouard Herriot tient un discours similaire : « formes honteuses de l’anarchie qui troublent notre état social » / « c’est déjà trop qu’il ait fallu trouver ou faire revivre un nom pour désigner ce fait nouveau, le « sabotage ». Le parti « ne trouvera excessive aucune des actions légales qui pourraient être exercées contre des criminels de droit commun ». Les radicaux étendront « cette réprobation à tous ceux qui prêchent ouvertement la destruction ou l’affaiblissement des institutions nécessaires à la France ».
Dans ses « grandes choses à faire », Adrien Rey-Golliet dit qu’il votera la loi « sur l’organisation de la Préparation militaire en France, - puis [le] Projet de Réduction du Service militaire à 18 mois - sans amoindrir en quoi que ce soit nos forces nationales ». Là encore, c’est une attitude radicale : le Parti radical veut briser la puissance de la caste nationaliste et monarchiste dans le milieu militaire pour faire triompher cette idée d’armée-citoyenne, et privilégier le pacifisme. Le parti pense y arriver en réduisant le service militaire, en diminuant l’influence de cette caste sur la jeunesse, tout en assurant la défense nationale par l’instruction des jeunes gens libérés du service actif. La société Le Jeune Soldat (fondée en 1900 à Paris) à laquelle participe Adrien Rey-Golliet se définit comme une société de préparation militaire et « d’éducation civique ». Ses membres sont tous républicains (certains de la loge maçonnique Les Droits de l’Homme ). Adrien Rey-Golliet émet une autre idée typiquement radicale : il veut la réorganisation et la réduction militaire sans « amoindrir en quoi que ce soit nos forces nationales » (vigilance des radicaux pacifistes qui souhaitent préserver la sécurité du pays). Un autre choix politique va dans le sens de l’objectif des radicaux à faire triompher une armée-citoyenne : il votera la « Suppression des Conseils de guerre en temps de paix - faire juger les délits par les tribunaux civils compétents » /Vote de la Loi des « cadres » garantissant l’avancement méthodique des Officiers ». Effectivement, les radicaux soutiennent la loi « des deux ans » et réclament la suppression des conseils de guerre en temps de paix . Quant à la loi des cadres, Adrien Rey-Golliet fait allusion au point n°27 de Nancy « La loi des cadres garantissant l’avancement des officiers » Son vocabulaire (« Révolutionnaires » /« Ni révolution ») est symptomatique du radicalisme, mouvement d’action parlementaire qui repousse la violence, d’où son refus de la lutte des classes. Il choisit de combattre les abus, les privilèges, les inégalités et les oppressions par la solidarité sociale et l’association entre individus. Pour un radical, la Révolution se justifie lorsqu’il y a une atteinte grave contre la République.

Une autre proposition très « radicale » : la paix à faire prévaloir entre nations par l’établissement d’un droit international. Adrien Rey-Golliet ne développe pas ce sujet d’une manière précise : il défend l’idée d’une « Bonne entente entre les nations. Multiplier les ententes amicales, et multiplier les tribunaux d’arbitrage entre nations ». Les radicaux reprochent aux grandes puissances de ne pas empêcher les guerres et souhaitent élaborer un droit international pour régler les forces. Ainsi, il serait possible de diriger la force au service de ce droit et de faire respecter celui-ci par une mise en service des armées nationales en faveur d’une justice internationale… Et, pourquoi ne pas créer une société des nations civilisées ? Le point n°24 du congrès de Nancy rejoint alors l’idée d’Adrien Rey-Golliet : « entente cordiale entre peuples ; extension de la pratique de l’arbitrage international en cas de différends graves ; maintien de la paix dans la dignité » . Comme le Parti radical, Adrien Rey-Golliet préfère la paix à la guerre et le triomphe du droit international au triomphe de la force qui entraîne violences et convoitises.

Pour résoudre les grands problèmes sociaux, Adrien Rey-Golliet se pose deux questions : où trouver et comment employer l’argent ? : A la 1re question, il songe à « 1° Réduction des Dépenses d’adon et contrôle sérieux des dépenses civiles et militaires. Suppression des Emplois inutiles », « 2° diminution des gros traitements = fixer un maximum, augmentation des petits traitements (facteurs, gardes, etc.) ». On se reporte une nouvelle fois au programme de Nancy : réduire « les dépenses et le nombre des fonctionnaires, tout en rétribuant mieux les petits emplois » , instaurer une réforme financière qui « comporte un contrôle sévère de toutes les dépenses tant militaires que civiles et l’amortissement graduel de la dette publique » . Adrien Rey-Golliet distingue hauts et petits fonctionnaires, veille à la protection des petits fonctionnaires (comme le point n°5 de Nancy). Il ajoute : « Exiger de tous les fonctionnaires (officiers ou civils) le serment civique de fidélité aux Institutions républicaines - En cas de parjure, révocation et poursuites judiciaires pour faux serment. Vote du statut des fonctionnaires ». On retrouve l’esprit de Nancy : « il [Le Parti radical] veut donner aux fonctionnaires civils de tout ordre un statut garantissant leurs libertés civiques, la justice dans l’avancement, et la plénitude de leurs droits, y compris le droit d’association » . Le loyalisme qu’Adrien Rey-Golliet attend des fonctionnaires, grâce au serment civique et à la menace d’une révocation en cas de faux serments ou parjures, est le même que celui réclamé pour les magistrats à Nancy : « leur loyalisme et leur sincérité dans l’application des lois républicaines » .

Il en vient à la politique coloniale : « éviter les expéditions coloniales qui nous entraînent à des pertes irréparables en hommes et en argent, - dit-il - à des occupations coûteuses et sans profit puisque notre domaine Colonial est immense et suffit amplement à nos concitoyens », autre volonté politique des radicaux qui adhèrent aussi à un colonialisme civilisateur utopique : porter les droits de l’homme et la dignité humaine, l’amélioration des conditions de vie dans les pays colonisés. Le Parti radical est également « adversaire de toute politique d’aventures ». Il s’oppose « aux expéditions militaires dont le but avoué ou déguisé serait la conquête de nouvelles colonies » et réclame la « mise en valeur du vaste domaine colonial actuel de la France, avec l’instauration d’un régime vraiment civilisateur conforme à notre esprit national, en dehors de toute domination militaire et de toute propagande confessionnelle. Il exige le respect de tous les droits de l’humanité dans les relations avec les populations des régions que la France a conquises » .
Adrien Rey-Golliet défend l’application de l’impôt sur le revenu. C’est la première résolution de Nancy dans son Ordre fiscal et budgétaire : « Pour établir la véritable proportionnalité des charges suivant les facultés contributives de chacun, le parti radical et radical-socialiste veut l’établissement d’un impôt global et progressif sur le revenu […] » . Pour trouver de l’argent, il propose la « Reprise des monopoles - mise en exploitation de ceux-ci par des Régies intéressées - ne jamais placer à la tête des Compagnies des fonctionnaires de l’Etat ». Il soulève un concept fondamental des radicaux : un Etat « interventionniste ». L’Etat peut reprendre les « monopoles de fait », comme le dit le programme de Nancy « […] là où un grand intérêt l’exige, notamment : - pour rentrer en possession de grands services nationaux qui exercent une influence décisive sur la production, sur la richesse du pays et sur sa défense en cas de guerre ; - pour empêcher certains accaparements industriels de taxer à leur bon plaisir les travailleurs et les consommateurs ; - pour trouver, dans les bénéfices que ces monopoles peuvent fournir, des ressources, soit pour le soulagement des contribuables, soit pour la réalisation des réformes sociales ». Le parti réclame « le rachat des chemins de fer et le monopole des assurances », et entend protéger l’épargne publique « contre les manœuvres de l’agiotage et de la spéculation » . Pour Adrien Rey-Golliet, ne pas vouloir de fonctionnaires à la tête des compagnies, c’est lutter contre la corruption. Avec les réformes fiscales, on soutiendra l’agriculture, les œuvres coopératives, les crédits agricoles, la création du « bien de famille inaccessible et insaisissable ».
A la 2e question « Comment employer l’argent », Adrien Rey-Golliet aborde le domaine social. Il pense « amender la Loi d’assistance aux vieillards : accorder des secours plus forts - et plus nombreux. Faire supprimer la « clause » exigeant le remboursement par les héritiers. Retraites ouvrières, agricoles, petits patrons, petits propriétaires cultivateurs ». Il songe à des « Allocations aux familles chargées d’enfants (une somme serait versée quand il y aurait plus de 4 enfants, les familles toucheraient pour chaque enfant en plus de 4 jusqu’à ce que chacun des enfants « en plus » ait atteint l’âge de 12 ans »). Il soutient le « vote de toutes lois ayant pour objet de supprimer ou de diminuer les lourdes charges qui pèsent sur les cultivateurs ». Le programme de Nancy s’appuie sur les mêmes prérogatives : « L’Etat doit acquitter la dette de la société envers les enfants, les malades, les infirmes et les vieillards, et tous ceux qui ont besoin de la solidarité sociale. Il doit assurer aux travailleurs des villes, des usines et des campagnes, quand l’âge où la maladie a brisé leurs forces, les retraites solennellement promises à la démocratie » .

Pour le parti, il faut songer aussi à l’assistance médicale aux vieillards et infirmes, créer des hospices cantonaux, soutenir les œuvres antituberculeuses, apporter des secours communaux, départementaux, nationaux aux femmes enceintes pauvres, défendre le repos légal de 6 semaines aux femmes avant ou après un accouchement…
En ce qui concerne l’enseignement, rien d’étonnant : l’instituteur Adrien Rey-Golliet défend l’école publique gratuite laïque et obligatoire, désire que tout enfant du peuple ait droit à l’éducation intégrale dans une société de liberté de conscience qui respecte tous les cultes et une suprématie du pouvoir civil… selon l’adage du point n°9 du programme de Nancy : « Les Eglises libres dans l’Etat souverain ». Il soutient : l’« Abrogation de la Loi Falloux » et le « Monopole de l’Enseignement au profit de l’Etat », « En attendant, Vote d’une Loi assurant le contrôle effectif de l’Etat dans tous les établissements qui donnent l’instruction », le « vote du projet de Loi Dessoye qui protégera efficacement l’Ecole laïque contre les menées des partis de réaction - qui essayent de la troubler dans son œuvre d’éducation nationale. Création de Cours du soir et de conférences périodiques partout où il n’en existe pas ». Ces conférences et cours du soir rappellent encore le programme de Nancy : « Le système d’éducation nationale doit donc garantir ce droit. Il doit aussi permettre le développement de l’éducation professionnelle et le perfectionnement de l’adulte » . Pour alléger le budget, Adrien Rey-Golliet défend également la « diminution des frais de justice de tous ordres et suppression des termes plus ou moins clairs employés dans la rédaction des actes de justice ». Comme pour les radicaux, les réformes judicaires sont posées dans le but de rendre la Justice égale pour tous (point n°7, Nancy). En matière judiciaire : « choses spéciales : Maintien de la peine de mort », estime Adrien Rey-Golliet. C’est le seul point qui diverge avec les décisions prises par le Parti radical à Nancy, en 1907 : « Le parti radical et radical-socialiste réclame l’abolition de la peine de mort » . On peut se demander si Adrien Rey-Golliet juge l’application de la peine capitale, seulement effective dans des circonstances vraiment spécifiques. Sans aucune précision, nous « restons sur notre faim ». Dans son manuscrit, il n’indique pas grand chose à propos des réformes judiciaires, aucune allusion à des réformes institutionnelles (Sénat, Présidence de la République)… En a-t-il parlé sans l’avoir écrit ? N’a-t-il pas d’idées à ce sujet ? Est-il prudent quant à l’ouverture d’un débat sur des remises en cause institutionnelles craintes par le parti qui se souvient du Boulangisme ?

Dans ses « grandes choses à faire », Adrien Rey-Golliet entame la question de la condition ouvrière qu’il intitule « Lois ouvrières ». Il votera toute loi « ayant pour objet le mieux-être de l’ouvrier » dit-il, et le « projet de Contrat de travail avec pour corollaire l’arbitrage obligatoire en cas de grève ». Par « mieux-être de l’ouvrier », on retrouve les résolutions de Nancy qui parlent d’un progrès social favorable au monde ouvrier : « Sous les auspices du ministère du Travail, le Code du travail et de la prévoyance sociale doit être rédigé et comprendre l’ensemble des lois ouvrières : - sur l’emploi des femmes et des enfants dans l’industrie ; - sur le contrat de travail et le contrat d’apprentissage ; - sur la réglementation des différends et conflits graves entre employés et employeurs par l’arbitrage amiable et obligatoire ; -sur les accidents de travail, les risques et maladies professionnels et les responsabilités des employeurs ; - sur la limitation des heures de travail et le repos hebdomadaire ; - sur l’organisation de l’assurance par la nation de tous les travailleurs de l’industrie, du commerce, de l’agriculture contre les risques des accidents, de la maladie et du chômage ; - sur les institutions de mutualité et d’épargne qui peuvent améliorer le sort du travailleur déjà garanti de la misère ; - sur les conditions d’hygiène et de salubrité des établissements industriels et commerciaux comme de tous les locaux où séjournent les employés et travailleurs » . Adrien Rey-Golliet votera toute loi « ayant pour objet la création de Corps spéciaux de police pour les grèves » / « ne plus mettre le soldat en contact avec l’ouvrier ». Les radicaux, légalistes, s’inquiètent des agitations troublant l’ordre social et de la séparation avec le milieu ouvrier. Adrien Rey-Golliet a aussi conscience de la précarité de ce milieu et des conséquences désastreuses que les dérapages violents des forces de l’ordre font subir à des ménages déjà modestes.
En ce qui concerne l’arrondissement : « Rester en contact permanent avec les Comités Républicains et les Municipalités Républicaines. - écrit Adrien Rey-Golliet - Réunir, aussi souvent que possible, sur un point quelconque de nos vallées, les Républicains, pour échanger des idées, des vues sur les grandes choses à accomplir. Soutenir le Journal, organe du parti républicain ». Il défend l’idée d’une création à Paris « d’un office central pour le développement du tourisme en Tarentaise » / « multiplier les voies de communication. Route de Thonon à Nice. Percée du Petit-St-Bernard. Route du Col de la Madeleine. Route du Col des Encombres. Route du Col de Chavières. Tramway de Brides à Pralognan ». Il souhaite la création à Moûtiers et Bourg-Saint-Maurice de « classes primaires d’hiver avec internat. Permettre aux enfants de fréquenter l’Ecole jusqu’à 16 ans. Consulter les Municipalités pour les heures de classe et l’époque des vacances. Création à Moûtiers d’une Ecole primaire supérieure [et] d’une Ecole professionnelle ». Il aimerait obtenir de la Cie des chemins de Fer « des tarifs de plus en [plus] réduits pour le transport des denrées ou du bétail - faire accélérer les transports », des « trains spéciaux pour le transport du bétail - pendant les années de sécheresse », des « trains de plaisir sur Paris à organiser en automne ». Il n’oublie pas les « Fêtes estivales et hivernales pour amener des étrangers. Concours de musique, de pompes, de tir, de gymnastique etc », fondation de banques et de syndicats agricoles.

L’élection des candidats officiels

Chez les Conservateurs :
Se proposent : Georges de Riols de Fonclare, banquier à Moûtiers, Mermillod, pharmacien à Bourg-Saint-Maurice, Jean-Maurice Gacon, ancien notaire et publiciste à Bozel, Louis Galliot, ingénieur agronome à Aime, Antoine Allemoz, agriculteur-pépiniériste à St-Oyen, et Michel Roux-Vollon, « industriel fromager à St Jean de Belleville, petit-fils de parlementaire lettré sur qui la démocratie libérale en reconnaissance a pondu ses vers parfumés : A tout cœur bien né la patrie est chère, le matin je fais des lois et le soir du gruyère », ironise Le Radical des Alpes . De Fonclare sera finalement le candidat des conservateurs.


Chez les Républicains :
Se proposent : Antoine Borrel, rédacteur en chef de L’Avenir Savoyard (Annecy), E. Machet, conseiller d’arrdt et maire de Bozel, Montmayeur, conseiller gl du canton d’Aime, Michel, maire de Séez, Ruffier-Lanche, avocat à Paris et A. Rey-Golliet, instituteur à Paris. Au moment où Adrien hésite à se présenter au congrès, le secrétaire de « L’Etoile de la Haute-Tarentaise » (société de libre pensée) lui assure avoir communiqué une de ses lettres au docteur Tapie et s’être entretenu avec « nos amis de Bourg-Saint-Maurice ». Il prévoit un certain succès à Adrien : « votre candidature vous arriverait concuremment [sic] avec celle de notre f ∴ Borrel d’Annecy […] ». Si l’on en juge les résultats mentionnés plus loin, le secrétaire fait un pronostic assez juste sur les positions de chaque candidat républicain bien qu’il sous-estime le score de Machet : « Jorioz, Gerfaux se sont je crois désistés : Mr Michel n’a aucune chance, Mr Gerfaux pas du tout, Mr Jorioz, candidat progressiste, aucune - Machet, peu ou très peu. Il resterait en présence Mr Borrel, Machet et vous » . Il ne se trompe pas sur la réussite de Borrel. Le docteur Tapie aurait dit à ce candidat de ne pas s’engager, étant donné « ses idées socialistes ». Borrel se réclamera du parti radical-socialiste lors d’une conférence à Bourg-Saint-Maurice, un succès devant presque tous les électeurs . Le secrétaire de « L’Etoile de la Haute-Tarentaise » écrit à Adrien :

« […] Vous aurez de grandes difficultés pour effacer Borrel quoi que vous serez soutenu par quelques amis, qui se verront dans une situation équivoque. A Bourg St Maurice, nous savons tous combien vous êtes bien considéré, et vous connaissant très, très avantageusement, mais, voilà q.q engagements ont été pris il y a 8 à 10 jours pour soutenir Borrel, moi-même je l’ai pris. En effet ne voyant pas de candidatures réelles jusqu’il y a ces jours je répondais le 12 janvier à Borrel que mon minuscule appui lui serait dévolu = il est certain que je me rallierai aux décisions du congrès et que l’engagement pris pour Borrel n’ira qu’à cette date et je continuerai ma propagande ainsi que tous nos amis en faveur de l’élu du congrès à la condition que ce soit un libre-penseur. Sinon nous nous plongerons dans le mutisme et laisserons un peu faire les progressistes et radicaux. Voilà en un mot = Je ne vous engage pas à vous présenter, vous rendriez très difficile la tâche des républicains que vous aurez mis dans une situation équivoque - encore une fois ce n’est qu’une petite observation faite par nous amis ∴ de Bourg St Mce des 2 loges, de Chambéry et Albertville. Recevez ma plus franche amitié, et mon meilleur souvenir. Je suis votre très dévoué, et frat ∴ à vous » .

L’auteur de cette lettre paraît bien informé sur la réalité politique et sur l’opinion des loges de l’arrondissement à l’égard des candidats. Adrien Rey-Golliet arrive en 3e position (51 voix), après Machet (68) et Borrel (104). Au 2e tour, il obtient 60 voix, toujours après Machet (95) et Borrel (131). Au 3e tour, Borrel (172 voix) le remporte contre Machet (121). Le 27 février, un article paraît dans La Tarentaise, journal des conservateurs et du clergé : « Nous avons ici la visite de deux candidats. Avant le congrès, M. Rey-Golliet est venu nous parler et il nous avait fait une excellente impression. C’est un homme franc, ferme, d’une grande capacité et c’est pour cela sans doute que le Congrès ne lui a pas été favorable » . L’avis de ce communiqué suit l’orientation du quotidien conservateur opposé aux radicaux, et bientôt à Antoine Borrel…
Le fait qu’Adrien Rey-Golliet soit éloigné géographiquement de la Tarentaise - même s’il ne l’est pourtant pas de cœur et dans les faits ! - a certainement influencé ce résultat. Son hésitation lui a-t-elle fait prendre du retard dans sa campagne ? Franc, et non habitué aux convoitises et calomnies, se sentait-il vraiment prêt pour une destinée de parlementaire ? Dans la copie d’une lettre, ne demandait-il pas au secrétaire de « L’Etoile de la Haute-Tarentaise », quels « déboires » et « ennuis » pouvaient l’attendre ?
Avant 1914, en Savoie, le choix d’un candidat n’est pas chose facile : la droite mal organisée cherche des personnalités capables de contrer les républicains ayant des discours généralement plus réceptifs aux exigences du milieu paysan ; la gauche républicaine cherche à unifier ses notables. Ce contexte d’incertitudes ouvre la voie à d’autres ambitions « extérieures » telles que celles de l’instituteur Rey-Golliet et de l’avocat Ruffier-Lanche. Ces Savoyards de Paris, malgré leur valeur - nettement supérieure à certains candidats locaux - ne sont acceptés de l’électorat que timidement : résider à l’extérieur du périmètre savoyard leur porte préjudice, les fait passer pour des hommes peu au courant des problèmes locaux, préjugé que Raffort souligne. On peut admettre qu’Adrien Rey-Golliet est un républicain un peu « différent » des républicains provinciaux dans la mesure où, à Paris, il est en prise directe avec les événements nationaux (souvent très parisiens) comme par exemple l’affaire Dreyfus . Comme il le dit à ses amis, Adrien Rey-Golliet continuera, même non élu, à aider et à soutenir ses compatriotes qui pourraient avoir besoin de son appui.

L’entrée au Palais-Bourbon d’Antoine Borrel : Le conservateur de Riols de Fonclare est battu par Antoine Borrel qui devient député de la Savoie. L’échec de l’un et le succès de l’autre traduisent la situation électorale d’avant 1914 : la droite choisit des candidats parmi des notables peu connus du milieu rural, avec un langage mal adapté aux intérêts populaires, et des idéaux dépassés. Elle est aussi victime de ses compromis avec le Second Empire. Ses candidats diabolisent incessamment la laïcité et la franc-maçonnerie sans poser de réelles réformes. Descostes essaye de rajeunir et de donner une unité à cette droite vieillie. Mgr Lacroix tente de porter le clergé et ses fidèles vers plus de modernité, vers un centre droit républicain… mais en vain : les notables catholiques de Moûtiers le « dénoncent » au Pape. Le paysan reste utilitariste et sans conviction politique concrète. Avant de regarder l’idéologie du candidat, il privilégie le vote qui assurera l’essor de la commune. Les préjugés peuvent l’emporter sur la véritable réflexion que devrait avoir l’électorat sur le programme des candidats.

A la veille de la Grande Guerre, Adrien Rey-Golliet est-il une référence pour les radicaux-socialistes ?

Pour arriver à cerner la personnalité d’Adrien Rey-Golliet et connaître le sens qu’il donne à l’existence humaine, faire l’impasse sur sa philosophie politique avant 1914 serait regrettable. Récapitulons les idées qui ont nourri la formation intellectuelle d’un instituteur de la fin du XIX siècle au début du XX siècle, imprégné de la philosophie des Lumières, des réflexions sur la liberté de penser, l’esprit critique, la superstition et le fanatisme religieux, la raison, la Séparation des pouvoirs…
1° - Adrien Rey-Golliet est démocrate parce qu’il considère que le peuple souverain doit s’occuper des affaires de son pays et se libérer du pouvoir absolu d’un tyran ou d’une caste qui l’empêche de penser et vivre librement. Il défend un système qui garantit les libertés fondamentales, le respect des droits de la minorité, la liberté de vote, de se réunir pour professer son culte ou vivre sa passion, le droit à chacun de dire son opinion, de choisir, de profiter de sa propriété, de commercer et d’entreprendre. La démocratie est pour lui un état social où l’on se trouve égaux devant la loi. Il vit dans une démocratie parlementaire où l’expression populaire est représentée de manière indirecte par des hommes élus, c’est-à-dire des serviteurs concrets de l’intérêt public sans distinction de classes ou d’opinions qui rapportent publiquement les comptes de leur mandat, où le peuple peut contrôler sévèrement le travail parlementaire. Il défend le suffrage universel car il en attend la réalisation d’une démocratie quotidienne.
2° - Adrien Rey-Golliet est humaniste et progressiste parce qu’il croit en l’homme. Il le place au centre des préoccupations avant le profit. Il croit en un progrès social qui contribue au bien-être général, au moyen de la science et de l’instruction. Adrien Rey-Golliet a la conviction d’un progrès capable de se substituer aux révolutions violentes, d’où son esprit réformiste et non révolutionnaire au sens socialiste du terme.
3° - Adrien Rey-Golliet est républicain parce qu’il en revient à la véritable définition de République du latin respublica, c’est-à-dire l’affaire de tous. Il place cet intérêt dans un régime d’égalité des droits et la défense de chacun, et s’oppose donc aux anciens régimes aristocratiques et aux anciennes républiques sans égalité. Il défend un régime de droit fondé sur la raison, la synthèse entre la liberté individuelle et le pouvoir collectif. Il est adepte d’une république laïque qui repose sur une séparation de la société civile et religieuse, sur l’idée que l’Etat doit préserver la liberté de conscience grâce à la neutralité religieuse.
4° - Sa philosophie émane des réformes sociales chères au mouvement radical-socialiste (la solidarité sociale substituant la lutte des classes, la Séparation, l’impôt sur le revenu, la défense et le développement de la propriété individuelle contre le collectivisme, le patriotisme contre l’internationalisme, le pacifisme contre le nationalisme belliciste…). Ainsi, il se situe à la gauche modérée de l'échiquier politique (laïcité, défense des classes moyennes et ouvrières, pacifisme…) tout en s’y détachant pour la droite républicaine (propriété privée, opposition à l’internationalisme…).

Adrien Rey-Golliet est donc bien un radical. Un optimiste prudent et cartésien. Radical-socialiste, Adrien Rey-Golliet est cartésien. Même si la raison n’est pas toujours parfaite, il lui faut glorifier la liberté d’esprit à la manière de Ferdinand Buisson :
« L’esprit radical a ce trait de ressemblance avec l’esprit scientifique qu’il vit de relatif et non d’absolu. Il ne prétend ni être immuable, ni être infaillible. Il fait profession d’apprendre sans cesse et de se corriger sans relâche. Ne se pliant à aucune consigne destinée à régler de force l’avenir, il est libre de toute entrave : il ne souscrit ni aux dogmes d’un système a priori, ni aux réserves intéressées d’un parti ou d’une classe, ni aux règles artificielles d’une prétendue sagesse sociale. Il n’apporte pas la vérité toute faite et parfaite. Il la fait laborieusement, heure par heure et parcelle après parcelle » .
Organiser la société selon la loi de la raison, pour permettre un développement de la personne dans tout être humain et réaliser une justice entre les êtres… tel est l’idéal d’un radical de 1900. Espérer une amélioration sociale du citoyen, c’est déjà porter une pierre à l’amélioration de la condition humaine. Adrien se sent profondément Tarin, Savoyard et tout autant Français. Il se sent frère des autres hommes qui forment l’univers de l’humanité. Ses valeurs maçonniques convergent avec son humanisme. Il essaie d’appliquer la bienfaisance, la solidarité et l’union du mieux qu’il peut : il se sait, comme tout être humain et toute société humaine, non dénué de défauts ou d’imperfections. Observer la philosophie politique d’Adrien Rey-Golliet avant 1914, c’est relire l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet : Adrien est optimiste car il reste confiant dans la perfectibilité de l’homme et des sociétés, socle de tout réformisme, et prudent car il reste conscient de l’imperfectibilité humaine.

L’optimisme de notre jeune instituteur, puis inspecteur de l’enseignement à l’éducation physique, est ce fameux « optimisme radical » (Mona Ozouf). « Etre radical, c’est demeurer optimiste. C’est affirmer qu’il y a de par le monde plus de soleil que d’ombre » (Edouard Herriot) . On le sent trop idéaliste, trop utopique. Mais une République sans utopie serait un paradoxe ! Sa foi en l’homme recoupe l’idée de confiance dans le progrès à condition que liberté et propriété individuelle soient garanties au citoyen. Son optimisme s’exprime dans sa vie publique avec ce qu’il appelle « la solidarité sociale », concept étroitement lié à la théorisation des idées qui ont fondé le radicalisme français : le Solidarisme. Cette « solidarité sociale » se réalise par ailleurs dans le milieu « parisien » et celui des expatriés savoyards de Paris à l’intérieur duquel Adrien Rey-Golliet affirme ses valeurs.

SOURCES DOCUMENTAIRES ET BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Berstein (Serge) / Milza (Pierre) - Histoire de la France du XIXe siècle, I, 1900-1930 ; Complexe, 1990 et 1999 ; II 1930-1945, Complexe, Bruxelles, 1991 et 2003.
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Sources archivistiques

Archives départementales de la Savoie
M 349 (Elections législatives de 1909)
Série Z (1 Z)
Périodiques divers.

Archives départementales de la Haute-Savoie
Périodiques divers.

Archives du Grand Orient de France
Fds de la Loge des Droits de l’Homme.
Fds de la loge L’Etoile polaire.
Ouvrages et bulletins relatifs à la franc-maçonnerie.

Fds d’archives en mairie des Avanchers

Archives privées

M. Hôte Jean-Michel, Paris (75) et Aigueblanche (73), fils d’André Hôte, capitaine, neveu d’Adrien Rey-Golliet et petit-fils d’Eugène-Emmanuel Hôte (beau-frère d’Adrien Rey-Golliet), filleul d’André Rey-Golliet (Correspondances et photographies, provenant de la famille Hôte-Vibert, Aigueblanche).

Stéphane HENRIQUET