Les étrangers (Savoie/Haute-Savoie)
Proposition de synthèse : Les étrangers (Savoie/Haute-Savoie)
Proposition de synthèse : Les étrangers (Savoie/Haute-Savoie)
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Bibliographie :
- Peter Gaida, Camps de travail sous Vichy, Sl, Lulu Press, 2015, 606 pages
- Denis Peschanski, La France des camps, l'internement 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002, 549 pages
- Francine Mugnier, Les réfugiés Espagnols en Savoie (1937–1945), Mémoire d’histoire, Université de Grenoble, 1986, 168 pages
Commentaire bibliographique : A l’échelle nationale la situation des étrangers incorporés dans les camps de travail est désormais très bien connue grâce au travail de Peter Gaida publié en 2015 sous le titre Camps de travail sous Vichy. Cet ouvrage offre une base sérieuse pour la construction du texte proposé ici, et délivre de nombreuses informations très bien documentées. Localement, seul le travail de Francine Mugnier datant de 1986, et traitant uniquement des Espagnols dans le département de la Savoie, offre une véritable analyse de la question. Là encore, il a été possible d’y puiser de précieuses indications, reprises pour beaucoup d’entre elles dans le texte présenté ci-dessous.
Texte :
Le gouvernement de Vichy met rapidement en place une politique xénophobe. Les étrangers sont donc distingués du reste du corps social français. Toutefois, les conséquences de cette politique ne sont pas les mêmes pour tous. Effectivement, la vie d’un étranger revêt des réalités bien différentes selon sa nationalité, son statut et l’époque. Être d’une nationalité d’un pays ennemi ou allié ne renvoie pas aux mêmes problématiques, de même, si l’on est un réfugié ou un travailleur immigré de longue date, cela n’a pas les mêmes conséquences. La situation de son pays dans la guerre, à savoir s’il est occupé par les forces de l’axe ou s’il ne l’est pas, est également un facteur important. Enfin, parmi tant d’autres différenciations à faire, au-delà de la nationalité, le fait d’être juif étranger établit une distinction énorme dans le traitement de la personne (se reporter à la partie consacrée à la situation des juifs). Cette politique xénophobe se lit très bien dans les échanges administratifs, et ressort à travers la retranscription d’un télégramme en date du 28 juillet 1940 reçu par la préfecture de Savoie et concernant le passage entre la zone occupée et la zone libre : le ministre de l’Intérieur rappelle que « pour éviter des difficultés de passage de démarcation entre zone libre et zone occupée, il est recommandé d’éviter de mettre en route des réfugiés juifs, nègres et sang mêlés ».
Bien évidemment, des étrangers la France en compte, n’ayant pas été une terre imperméable aux différents flux migratoires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. En plus de l’immigration économique, assez classique, des flux de migrants en provenance d’autres territoires européens arrivent jusqu’en France. Ce sont par exemple les Arméniens fuyant les persécutions turques, les Russes s’éloignant de la Révolution bolchévique, les juifs voulant fuir les pogromes et la montée du nazisme, les Allemands et les Autrichiens s’échappant après la victoire d’Hitler, les Sarrois, les Polonais, les Tchèques, les Luxembourgeois, les Belges et les Hollandais reculant devant l’avancée allemande, et avant eux les Espagnols républicains en fuite après la victoire de Franco, etc.
A l’échelle nationale, une statistique en date du 1er janvier 1941 dénombre quelques 2 millions d’étrangers résident sur le sol français, à savoir, plus de 623 000 Italiens, 406 000 Espagnols, 406 000 Polonais, 174 000 Belges, etc, résidant pour l’immense majorité en France depuis les années 1930. Parmi les populations que l’on vient de citer, on ne confond pas les étrangers comptés comme réfugiés : c'est-à-dire près de 50 000 Russes, 46 000 Arméniens et plus de 35 000 Espagnols, etc.
En Haute-Savoie, sur les 18 628 étrangers présents en 1940, 11 206 sont des Italiens et 5 771 des ressortissants Suisses. Une constante depuis 1936, les 22 223 étrangers alors présents se regroupent essentiellement autour d’Annecy, Saint-Gervais, Annemasse, Thonon et Saint-Julien. En 1941, ce département compte deux grosses catégories d’étrangers réfugiés avec 257 Russes et 147 Espagnols comptabilisés comme tels.
En Savoie, on recense quelques 20 680 étrangers en 1936, très présents autour du bassin chambérien et aixois qui regroupent plus de 5 300 d’entre eux. Ils sont également très représentés dans les cantons d’Ugine et de Modane, recueillant respectivement 2 219 et 2 180 étrangers. Ces personnes sont majoritairement de nationalité italienne, et bien intégrées dans le tissu économique du département comme le précise le préfet à l’automne 1940.
Déjà sous le gouvernement Daladier (avril 1938 - mars 1940), une série de mesure avait été prise pour mieux contrôler les étrangers sur le territoire : la carte d’identité pour les étrangers et la limitation de l’obtention de la nationalité en sont quelques exemples. D’un autre côté, le gouvernement va pouvoir utiliser la main d’œuvre étrangère, tout particulièrement espagnole, dans le cadre des Compagnie de Travailleurs Etrangers. En effet, en avril 1939 le gouvernement Daladier lie le droit d’asile politique à l’obligation de servir la France. Les Espagnols sont les premiers et principaux concernés. Au déclenchement de la guerre, le département de Haute-Savoie recueille quatre camps : un à Savigny, un à Vacheresse, un à Saint-Félix et un à Alby-sur-Chéran. En Savoie, de nombreuses Compagnies de Travailleurs Etrangers se trouvent dans les vallées pour participer, entre autres, aux efforts de constructions militaires. Bien que très volatiles, elles sont cantonnées dans des localités comme La Chambre, Valloire, Beaufort, Bourg Saint-Maurice, Arêches, Grignon, Celliers,... Mais la défaite militaire et le changement de régime imposent une réorganisation de ces CTE et leur éloignement progressif de la frontière. Les zones démilitarisées qui doublent la zone annexée par les Italiens repoussent toutes les organisations considérées comme militaires. Les Compagnies de Travailleurs Etrangers existantes sont donc maintenues dans le bassin chambérien. En août 1940, il n’existe plus que 2 compagnies : la 5e à Voglans et la 35e à La Chapelle du Mont-du-Chat, regroupant autour de 150 hommes chacune. D’autres travailleurs, environ 300, sont détachés de leur compagnie pour travailler de façon diffuse dans l’économie locale.
Avec le nouveau régime, les mesures d’encadrement des étrangers deviennent clairement xénophobes. Au delà des lois antisémites, présentées dans une autre partie, le gouvernement applique la restauration des quotas pour les étrangers dans l’économie dès août 1940, durcit la législation sur l’emploie pour ces derniers, exclut les naturalisés de la fonction publique et déchoit de la nationalité des milliers de personnes. Les étrangers les plus visés sont précisément les réfugiés. Comme peu d’entre eux ont la possibilité de quitter le territoire, ils seront mis au travail dans des camps. Une circulaire d’octobre 1940 précise aux préfets comment gérer les étrangers sur leur territoire. Dans les départements savoyards, comme ailleurs, on distingue les Allemands, des étrangers dont le pays est occupé, des étrangers originaires des Balkans, de ceux d’Europe de l’Est, des Italiens, etc. Parmi eux, les nombreux réfugiés Espagnols, que Vichy ne souhaite pas garder sur son sol. Le gouvernement espère leur départ dans un autre pays voire un retour en Espagne par crainte de cette population considérée comme « républicaine » et « rouge ». Finalement, ils finissent dans des camps de travail de Vichy, après avoir connu, pour beaucoup d’entre eux, ceux de la Troisième République. Un autre groupe d’étrangers se distingue des autres, ce sont les Polonais et les Tchèques venus reconstituer leur armée en France. Intégrés militairement pour participer aux combats face à l’Allemagne, ils sont démobilisés après la défaite avec la possibilité de rester en France. De grands camps d’internement sont créés, ou simplement continuent d’être utilisés par Vichy dans la zone sud : il s’agit d’interner de nombreux étrangers, majoritairement des ressortissants Allemands, Espagnols et Polonais.
A cela, s’ajoute la loi du 27 septembre 1940, qui consiste à recenser les étrangers considérés en surnombre dans l’économie nationale et à les incorporer dans des Groupements de Travailleurs Etrangers en remplacement des Compagnies de Travailleurs Etrangers créées par le régime précédent. Cela vise les étrangers de sexe masculin âgé de 18 à 55 ans, considérés comme inactifs, sans emploi et sans ressource, ou dangereux, voire en surnombre dans l’économie. Pour une très grande partie, ce sont les réfugiés politiques. Des amendements sont apportés à cette loi visent à incorporer un nombre plus important de personnes : les ex-militaires se rendant en zone sud, les étrangers traversant la ligne de démarcation sans autorisation, etc. Concrètement, autre que les Espagnols, s’ajoutent surtout les Polonais, les Tchèques et les juifs. C’est pourquoi les groupes constitués, en Savoie comme en Haute-Savoie, sont dominés par l’une de ces nationalités. D’ailleurs ont les nomme en fonction de celle-ci : les groupements d’Espagnols, sont distingués des groupements juifs et de ceux des Polonais. Ces GTE deviennent mobiles en fonction des besoins, pouvant être dissout ou fusionnés. Des travailleurs sont également mutés, radiés ou libérés de façon individuelle. Rapidement, des règles assouplissent le premier cadre établi. Ainsi, des travailleurs conjoints de françaises, ou aillant des contrats de travail d’une certaine durée, etc, ont le pouvoir de sortir des GTE. Afin de faciliter la gestion administrative, un groupement départemental est alors désigné parmi l’ensemble des GTE présents : celui de Voglans pour la Savoie et celui d’Annecy pour la Haute-Savoie. Les GTE ne s’avèrent donc pas fixe, numériquement pas stable et leur composition est variable : le même groupe peut changer plusieurs fois de localisation, il peut changer de numéro et les effectifs varient selon les mutations individuelles, collectives et les déportations.
En avril 1941, une énième distribution des groupes dans le département savoyard repartit 1 217 hommes : soit, 5 groupes essentiellement composés d’Espagnols et regroupant 910 individus, un groupe majoritairement composé de Polonais, avec 200 personnes, et un groupe de 107 personnes, constitué de diverses nationalités dont une très forte représentation de juifs. Après la disparition du groupe de Cruet, le 20 octobre 1941, le département de Savoie ne compte plus que le groupe 5 de Voglans, le groupe 35 de La Chapelle du Mont-du-Chat, le groupe 225 du Bourget-du-Lac, le groupe 516 de Saint-Thibaud-de-Couz, le groupe 73 de Serrières-en-Chautagne et le groupe 974 de Ruffieux. En juillet 1942, 665 Espagnols sont recensés dans les GTE de Savoie, au côté de 150 Polonais et de 180 Israélites. Effectivement, le camp de Serrières est constitué de Polonais, celui de Ruffieux exclusivement de juifs à partir de l’été 1941, et les autres sont composés majoritairement d’Espagnols. L’année 1942 marque un déclin des GTE, notamment après l’occupation de la zone du sud par la werhmarcht. La majorité des travailleurs Espagnols sont peu à peu regroupés dans le seul groupe de Voglans. Alors que les Espagnols de Savoie représentent 551 travailleurs en novembre 1942, ils ne sont plus que 270 individus présents dans le département en janvier 1944.
En Haute-Savoie, on note la présence de plusieurs GTE en 1941 : le 517 d’Annecy, le 514 de Savigny, le 515 de Bonne, le 551 de Douvaine et le 140 de Génissiat dans l’Ain (basé à Seyssel). Au printemps 1942, la Haute-Savoie compte encore cinq GTE regroupant quelques 1000 hommes dont 753 Espagnols, 130 juifs et 50 autres nationalités diverses. A l’été 1942, les chiffres ont déjà évolués : 158 Espagnols à Seyssel pour le travail du barrage, 169 Espagnols à Bonne, essentiellement occupés dans des travaux agricoles, 104 Espagnols à Douvaine, pour des travaux de forestage et agricoles, 197 juifs à Savigny, occupés à des travaux de forestage, et 78 hommes de plusieurs nationalités à Annecy, travaillant dans divers domaines. En juillet 1944, il semble qu’il n’existe plus qu’un groupe de travailleurs, le 517 d’Annecy regroupant presque exclusivement des Espagnols à l’exception de quelques Polonais et individus de nationalités variées : Luxembourgeois, Sarrois, Russes, Belges, Hollandais, Russes, Roumains, Grecs…, au côté d’apatrides.
Les ex-militaires Polonais, repliés en France, ne peuvent pas tous rejoindre l’Angleterre pour continuer le combat. Ceux restés sur le territoire sont incorporés dans les GTE, à l’exception des officiers, assignés à résidence surveillées. Sur les 18 groupes de la zone sud composés de militaires polonais, l’un d’eux se trouve en Savoie à Serrières : la trace de sa présence est attestée vers la fin de l’année 1940. Il est composé de 150 hommes qui travaillent pour les Eaux et Forêts. En novembre 1940, ce groupe monte à 353 hommes, et retient encore à 298 membres en mars 1941, avant de voir ses effectifs diminuer peu à peu. Les conditions semblent y être assez dure, car le rendement et le paiement du travail est fixé par le chef de groupe sous la menace d’être envoyé dans un groupe disciplinaire, si les quotas ne sont pas atteints. Un rapport de la Croix rouge polonaise compare les gains journaliers des travailleurs polonais à ceux des forçats ou des esclaves. Une section de la Croix rouge polonaise est présente à l’hôtel Sévigné d’Aix les Bains pour accueillir les nombreux réfugiés polonais. En 10 jours, entre la fin du mois d’octobre 1940 et le début du mois de novembre, 110 Polonais arrivent. De même, un groupe de militaires tchécoslovaques est incorporé à l’armée française. Moins nombreux que les Polonais, ces militaires sont eux aussi reversés dans les GTE. C’est pourquoi nous retrouvons la trace de quelques uns d’entre eux en Savoie : ils semblent être incorporés dans le GTE de Serrières.
La particularité des GTE de Ruffieux et de Savigny est à souligner. A l’été 1941, ils ne regroupent plus que des juifs étrangers. Une ségrégation a donc lieu au sein des étrangers par le régime de Vichy (se reporter à la partie traitant des juifs). Le groupe de Ruffieux semble être dissout le 15 septembre 1942.
Alors que certains subissent les nouvelles mesures concernant les étrangers, de nombreux autres étrangers sont peu ou pas inquiétés. En Savoie, par exemple, la grosse communauté russe n’est touchée qu’à la marge car elle est employé en grande partie dans les aciéries d’Ugine, plus de 200 hommes, donc considérée comme utile. Effectivement, les formations des chômeurs français ne correspondant pas au travail susceptible d’être libéré, les préfets des départements savoyards mettent alors en place des quotas pour garder les travailleurs étrangers dans certains secteurs économiques. Cette problématique se pose également pour les travailleurs des GTE puisque le préfet de Savoie rappelle, durant l’automne 1940, que la main d’œuvre Polonaise, Tchécoslovaques et Espagnols employés dans l’agriculture est très appréciés et qu’il serait impossible de trouver des Français pour les remplacer. Au final, les ressortissants Britanniques et des Etats-Unis, pourtant issus d’un pays belligérants et ennemis des forces de l’axe, ne sont guère inquiétés par les autorités de Vichy. Certes, ils sont recensés, surveillés et certains regroupés dans des centres ou astreints à une résidence surveillées, mais aucunement soumis à des lois xénophobes. Ils ne représentent d’ailleurs qu’une petite communauté en Savoie, comme en Haute-Savoie où ils ne dépassant même pas les 100 ressortissants.
Soumis à un labeur forcé, les étrangers regroupés dans des groupements de travail, deviennent une main d’œuvre disponible au profit de différents employeurs qui les soumettent à des salaires inférieurs et leur imposent des rendements élevés. Cela permet au régime de contrôler une population considérée comme potentiellement dangereuse et d’exploiter avantageusement une main d’œuvre peu coûteuse, considérée officiellement comme en surnombre dans l’économie. Les Groupe de Travailleurs Etrangers deviennent très utiles pour l’Etat et les employeurs locaux. En conséquence une série de mesures viennent encadrer leur statut. Elles visent à clarifier les prestations accordées aux familles (notamment dans le cadre du Service social des étrangers), la rémunération des travailleurs, leur droit à la sécurité, leur incorporation individuelle ou collective dans des entreprises ou dans des fermes agricoles, etc. Au final, en juin 1943, un dernier arrêté les assimile aux travailleurs français par l’obtention d’une série de droit (congé mensuel, assurances,…).
En Savoie, ces travailleurs sont employés dans tous les secteurs : l’industrie, l’agriculture, les mines et les travaux forestiers (coupe de bois, carbonisation, plantation dans les marais, …). Ils peuvent être employés individuellement ou en groupe. Nombreux sont ceux qui participeront au démantèlement d’infrastructures militaires ou bien aux travaux de drainage de l’Isère. Pour une courte période, de la fin de l’année 1940 et jusqu’au début 1941 deux groupe de travailleurs étrangers retournent même dans la zone démilitarisée à Modane et à Bourg-Saint-Maurice afin de démanteler des installations militaires. En mars 1941, la Société Hydro-électrique de Savoie fait la demande pour embaucher des travailleurs du 351 GTE. Une partie du 517 GTE est quant à lui employé au sein des aciéries d’Ugine. Des membres des GTE de Haute-Savoie travaillent au barrage de Génissiat dans l’Ain. De façon individuelle, cette masse de travailleurs étrangers, est souvent employés pour combler les besoins saisonniers dans l’agriculture. En Savoie, de nombreux travailleurs du GTE de Voglans sont affectés auprès d’agriculteurs et de nombreux maires du département demandent la possibilité d’utiliser les Polonais pour des travaux agricoles.
Dans leur nature et dans leur importance, les salaires ou indemnités versés aux travailleurs sont variables. Dans le cadre des travaux de groupe, il n’y a généralement pas de salaire, des primes de rendements sont allouées, le travail fourni est ainsi utilisé pour financer le groupe même. Cet autofinancement reste propice aux abus des chefs de groupement. Relativement au placement individuel, une indemnité est payée au groupe et un salaire au travailleur.
Ces concentrations d’hommes forment donc des camps qui se fixent avec des baraquements en dur le plus souvent. Les anciens chefs militaires des CTE démobilisés deviennent des chefs civils (un chef de groupe et son adjoint, deux parfois), à leur côté trois ou quatre surveillants, quelquefois le double, tous recrutés parmi les civils. On distribue des fonctions diverses et variées et du matériel est à disposition pour rendre le groupement le plus autonome possible. Ils disposent donc d’un nécessaire de cuisine, d’une intendance, etc, mais ni d’infirmerie ni de médecin. La salubrité du camp demeure variable et les déplacements soumis à réglementation. La surveillance est assez lâche, les possibilités étant en fin de compte très réduites pour les travailleurs. S’évader, mais pour aller où ? La situation change à la fin de l’année 1942 et dans le courant de 1943 : l‘apparition d’une résistance armée et structurée leur offre une issue possible après leur évasion.
Les sanctions renvoient à des réalités variées, allant de la simple suppression de prime à l’annulation d’une autorisation de sortie, jusqu’à l’internement dans un camp disciplinaire. Certains étrangers affectés dans les départements savoyards sont effectivement envoyés dans celui du Vernet, voire même au camp disciplinaire de Fort Chapoly. Les justifications de ces placements proposent des motifs divers comme « résistance passive » ou « insubordination », mais dépendent surtout de la volonté du chef de groupe. Ceci dit, on repère quelques loisirs existant à l’intérieur des camps, comme des équipes de foot, un théâtre, etc.
Le Service social des étrangers permet la prise en charge des malades et des familles. Les femmes essayent de se loger au plus près de leur mari, donc des camps. Elles bénéficient de l’aide sociale, mais celle-ci apparaît bien insuffisante pour répondre à leur besoin, notamment alimentaire. De nombreux cas d’épouses bénéficiant de la charité sont notés en Savoie. Un département dans lequel on ouvre, en septembre 1942, à la caserne Montfort de Montmélian un centre du SSE pour les inaptes, avec une capacité de 150 personnes, regroupant surtout les blessés et autres malades des GTE. Ce centre recueille surtout des Espagnols, bien que des populations juives y soient mentionnées. Les Polonais sont pris en charge du côté d’Aix-les-Bains par la Croix rouge.
De nombreux exemples montrent que ces travailleurs souffrent de la faim. Les travaux de force qu’ils réalisent nécessitent un supplément alimentaire important, mais leur salaire, prime et autres compléments ne suffisent pas forcément à leur besoin. De plus, les chefs de groupe sont parfois soupçonnés de détourner des primes ou salaires à leur profit.
Les autorités préfectorales relèvent de nombreuses évasions dans les différents groupes de Haute-Savoie. Entre le 1er janvier et le 31 mars 1942, 51 évasions sont enregistrées, essentiellement au sein du groupe de Seyssel composé d’Espagnols et dans celui de Savigny composé d’Israélites. Elles constatent également que de nombreux Belges, Hollandais et Luxembourgeois franchissent la frontière depuis la Suisse et sont dirigés vers le 517 groupe d’Annecy, mais qu’après deux ou trois jours, ces étrangers s’évadent avant même que la commission d’incorporation ait pu se prononcer sur leur admission. A l’été 1942, on note des évasions d’Allemands et d’apatrides dans le groupe d’Annecy. Sans pouvoir chiffrer les évasions avec exactitude, il est déjà non négligeable de pouvoir signaler les nombreuses recherches policières lancés contre des membres de GTE en Savoie. La menace de l’envoi en Allemagne ou en zone occupée est facteur de crainte et d’évasion. Ainsi s’explique les évasions de tout un groupe d’Espagnol, dans la nuit du 13 au 14 mai 1941 et de plus de 70 hommes du camp de Ruffieux. Mais ils sont tous repris, la plupart tentant de fuir par la frontière suisse. L’année 1942 est un tournant : au printemps de nombreuses évasions ont lieu au sein du groupe 516 de Savoie. De même, 21 évasions sont réussies au sein du groupe de Voglans. Aucune révolte n’est clairement signifiée, si ce n’est celle d’Espagnols au sein des GTE de Haute-Savoie, en février 1941. Il est spécifié qu’on la matte par l’envoie de quelques individus dans des camps de discipline. Toutefois, les chefs de groupe notent globalement un bon état d’esprit et des rendements corrects, quelques affaires de vols et autres petites infractions, sans pour autant être significatives. Cependant, ces appréciations restent très subjectives, comme le démontre un rapport, ô combien éloquent, du chef de groupement départemental de Savoie, expliquant que les Espagnols sont de bons travailleurs dotés d’un bon état d’esprit, et ce, malgré les difficultés de ravitaillement et d’habillement. Il ajoute qu’il n’a rien de négatif à souligner vis à vis les Polonais de confession catholique, à la différence de des Polonais israélites et de tous les juifs incorporés, qu’il estime faisant preuve de mauvaise volonté, montrant un état moral mauvais et fournissant un rendement presque nul.
A son point culminant, il existe près de 200 GTE regroupant plus de 47 000 travailleurs sur le territoire français, ils ne sont plus que 38 000 en novembre 1943 : fruit des évasions et des départs pour le travail obligatoire en Allemagne. A partir de 1943, le besoin en main d’œuvre du Reich accentue la pression et par conséquent les réquisitions s’effectuent au sein des GTE. Dans les départements savoyards quelques dizaines d’Espagnols sont effectivement envoyés au service de l’organisation Todt. En Savoie, environ 150 travailleurs étrangers sont fournis à l’occupant, prenant des destinations variées. La présence de l’armée italienne à partir de septembre 1942 est un facteur de protection pour les travailleurs étrangers, comme pour la population juive. En juin 1943, elle s’oppose au départ de plusieurs dizaines d’entre eux de Savoie, obligeant les autorités françaises à prouver leur accord pour un départ éventuel en zone occupée. Protestation veine de la part des Italiens puisque ces travailleurs partent effectivement. Ainsi, 93 désertions sont mentionnées en 1943 et 48 en 1944 pour le groupe 5 de Savoie. Les travailleurs étrangers, et tout particulièrement les Espagnols, fournissent donc des bras pour la lutte armée de la Résistance. Sans former des groupes de résistance à part entière ils se fondent dans des groupes mixtes au côté de Français. (Se reporter à la partie concernant la résistance). En juillet 1944, la police de Vichy envisage de régler le problème en regroupant tous les GTE dans les camps d’internement.
Malgré la libération, les GTE existent encore jusqu’à la fin de l’année 1945, comme le prouve l’existence du groupe de Voglans. Mais avec l’ordonnance du général De Gaulle du 2 novembre qui annule toute législation concernant les GTE, le groupe d’Annecy encore en activité peut donc être dissout. L’une des préoccupations des nouvelles autorités de libération est de régulariser la situation des étrangers ayant combattu dans la Résistance, s’étant cachés, ayant abandonné leurs identités et bien d’autres…, les uns pour fuir, les autres pour combattre l’occupation allemande.
La politique xénophobe de Vichy participe à réduire la présence des étrangers sur le sol savoyard. De nombreux Italiens et Suisses quittent le département de Haute-Savoie entre 1940 et 1942 (environ 3000). En Savoie, les services de la préfecture notent le départ de nombreux Italiens lors du recensement de 1943 et ce phénomène se poursuit les années suivantes. En 1946, le département de Savoie ne recueille plus que 12 724 étrangers pour une population de 223 215. En Haute-Savoie, ils ne sont plus que 13 342 étrangers au 31 décembre 1945 dont 7 452 Italiens. La politique xénophobe de Vichy n’est pas la seule responsable de cette baisse numérique de la population étrangère dans les départements savoyards, les affres de la guerre étant également un facteur déterminant.
Romain Marechal