Les communistes (Savoie/Haute-Savoie)
Proposition de synthèse : Les communistes (Savoie/Haute-Savoie)
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Bibliographie :
- Ruffier Lionel, Socialisme et mouvement ouvrier en Savoie 1940-1951, Mémoire d’Histoire, Université de Savoie, 1996, 125 pages
- Raymond Justinien, La Haute-Savoie sous la Troisième République : histoire économique sociale et politique 1875-1940, Seyssel, Champ Vallon, 1983, 1171 pages
- Mareschal Christian, Le socialisme en Savoie 1905-1939, Travail d’étude, Chambéry, 1969, 100 pages
- Buton Philippe, «Le PCF, une résistance en germe depuis 1936 ? », Les Echos Saléviens, n° 21, 2014, p. 83-94
- Vittoz Jean, Sur la grande route de ma vie, Ambilly, les Presses de Savoie, 1984, 185 pages
- Prenant Marcel, francs-tireurs et partisans de la Haute-Savoie, Ambilly, les Presses de Savoie, 1946, 191 pages
- Aguettaz Michel, francs-tireurs et partisans français dans la résistance savoyarde, Grenoble, PUG, 1995, 246 pages
- Bourderon Roger, 1940-1943, le PCF à l'épreuve de la guerre; de la guerre impérialiste à la lutte armée, Paris, Syllepse, 2012
Commentaire bibliographique : A l’échelle nationale, la question du parti communiste pendant la Seconde Guerre mondiale est traitée dans très nombreux ouvrages. Citons seulement celui de Roger Bourderon paru en 2012, qui s’attarde sur les premières années du conflit : 1940-1943, le PCF à l'épreuve de la guerre ; de la guerre impérialiste à la lutte armée. De nombreuses publications traitent de la résistance, et tout particulièrement de l’activité communiste dans les départements savoyards. Pourtant, la période précédant les débuts de l’action armée est peu développée et obtient une part ténue dans les différents travaux traitant du sujet. Le livre francs-tireurs et partisans de Marcel Prenant traitant de la Haute-Savoie et celui de Michel Aguettaz intitulé francs-tireurs et partisans français dans la résistance savoyarde, se préoccupant quant à lui du département de la Savoie, fournissent de nombreuses informations, bien documentées, qu’il a été possible de reprendre pour construire une partie du texte proposé ci-dessous.
Texte :
Les départements savoyards ne sont pas « rouges », le parti communiste s’y implante timidement. Pourtant, entre les élections législatives de 1932 et celle de 1936, une dynamique semble favorable à celui-ci. Il gagne des électeurs au détriment des radicaux et dans certaines circonscriptions multiplie par trois ses résultats, à l’image de celle d’Albertville-Moûtiers. Mais sur l’ensemble des territoires savoyards, les candidats communistes ne recueillent que 6, 87% des voix dans le département de Savoie et 7,5% en Haute-Savoie. De plus, cette petite embellie n’est pas synonyme d’une implantation en profondeur et d’une adhésion massive pour le communisme. Le parti profite davantage de l’élan du front populaire plus qu’il ne forme un véritable rassemblement sous sa bannière. Par ailleurs, en 1939, au cœur d’une terre savoyarde où l’assise religieuse demeure robuste et les radicaux en position de force, le parti communiste reste quant à lui, une force politique mineure. De plus, les ouvriers conservent encore, pour beaucoup d’entre eux, une activité paysanne de petit propriétaire peu favorable à l’adhésion aux idées marxistes.
A la veille de la guerre en 1939, les deux départements ne forment, sous la direction de George Martin, qu’une seule structure au sein du parti : la « région des Savoies » dont le siège est à Chambéry, symbole d’une implantation trop faible pour s’organiser distinctement à l’échelle départementale. Effectivement, avec une estimation de 1 640 adhérents, en diminution par rapport aux années précédentes, les effectifs apparaissent bien faibles. Variable selon les mises à jour des cotisations, de la date prise en compte et de la source assurant la comptabilité, police ou parti, le nombre d’adhérents est bien difficile à évaluer avec précision. En Savoie, les deux gros centres d’implantation du parti se tiennent à Chambéry et dans la région d’Albertville-Ugine. Le premier trouve une base solide au sein des cheminots, et le deuxième regroupe de nombreux travailleurs des aciéries d’Ugine. En Haute-Savoie, les effectifs sont moindres. Il en ressort qu’Annemasse-Machilly et Annecy forment les deux centres importants pour le parti, le reste se concentrant essentiellement dans la zone du Faucigny, notamment au Fayet et à Saint-Gervais. Comme en Savoie, l’importance du monde ouvrier est à souligner dans le département du nord, car ils représentent plus de 44% des effectifs, dont un quart regroupe des cultivateurs propriétaires-exploitants, le restant se composant de petits artisans et commerçants.
Au-delà du parti, les sympathisants ou les compagnons ne sont pas légions non plus. Le département de Haute-Savoie ne compte que 19 abonnés aux Cahiers du Bolchévisme. De son côté, le journal l’Humanité est diffusé à hauteur de 1 200 exemplaires sur les deux départements. La presse locale représentée par La Voix du Peuple, éditée depuis Lyon et qui a remplacé Le Travailleur Alpin cesse de paraître. De plus, le Travailleur Savoyard ne se porte guère mieux. Jules Bianchi imprime une feuille d’information pour les sections d’Annemasse, de Saint-Julien et des environs, intitulée « L’Etincelle », elle aussi disparaît rapidement avec la guerre.
Le parti communiste se concentre donc autour d’un noyau restreint, dont le premier cercle regroupe des membres actifs et déterminés. De plus, son organisation en sections communales lui assure une bonne assise pour regrouper ses fidèles pendant la guerre.
A partir de 1939, les communistes savoyards subiront les attaques de la République, puis du régime de Vichy. Le 26 septembre 1939, un mois après l’interdiction de la presse communiste, les organisations communistes sont dissoutes. Cette décision est la conséquence du pacte de non-agression signé entre les Soviétiques et le régime Nazi. S’en suivent la déchéance des députés communistes et la suspension des élus locaux du parti s’ils ne renient pas le pacte. En Savoie, cette situation concerne directement trente-deux élus : maires, adjoints et simple conseillers municipaux. Des communes sont plus sévèrement atteintes que d’autres : sept élus sont déchus à Landry, 5 à Arvillard, 4 à la Croix de la Rochette, 3 à Argentine et 2 à Grand-Cœur.
Au printemps 1940, en pleine mobilisation, les surveillances, les arrestations et les condamnations pleuvent à l’encontre des communistes. Dans les départements savoyards, la répercussion de ces évènements s’avère assez faible vu que le parti trouve une assise restreinte et que la population locale perçoit ces mesures avec indifférences ou même avec bienveillance. Néanmoins, une telle circonstance participe à la mise à l’écart du parti du reste de la société et les arrestations ne sont pas absentes. Au printemps, cinq militants sont arrêtés en Maurienne et quatre en Tarentaise, dont le secrétaire du bureau régional Georges Martin et Marius Pilat, ensuite transférés à fort Barraux, camp principalement dédié aux internés politique jusqu’à l’automne 1942. Ces premières actions du régime se confirment efficaces et le préfet de Haute-Savoie peut s’enorgueillir du fait que, grâce aux perquisitions et autres arrestations menées par les services, l’activité communiste est totalement paralysée en ce début 1940. Il ajoute que l’internement de quelques chefs ainsi que la condamnation de militants tentant de reprendre contact a totalement bloqué la reprise de leur activité. Il rassure ses supérieurs en précisant qu’il n’y aucune inquiétude à avoir concernant l’activité communiste dans son département. Effectivement, les rapports de police ne relèvent aucune propagande ou activité communiste avant le mois de janvier 1941.
Cette répression les oblige à entrer très tôt en clandestinité, une précocité qui deviendra une force pour mener des actions par la suite. Pour limiter les arrestations en cascade le noyau de base repose sur le triangle. L’un des membres est en contact avec l’aval, un autre avec l’amont et le dernier exécute les missions. La première structure à se remettre sur pied semble être celle de Chambéry, dès l’été 1940. Essentiellement des cheminots, ses membres seront peu touchés par la mobilisation militaire, et leur travail leur permet de maintenir en permanence le contact avec des sections extérieures. Dans le bassin albertvillois, c’est autour de la personne de Pierre Excoffier que les choses se réorganisent. Les contacts avec les militants de Grenoble et Lyon représentent une base solide afin de réorganiser l’activité clandestine communiste sur le territoire savoyard.
Le changement de régime qui s’opère en juin-juillet 1940 n’améliore pas la situation des communistes, bien au contraire. Le gouvernement de Vichy les dénonce comme des ennemis intérieurs. Ce comportement résulte de l’idéologie du nouveau régime. Il permet à la fois de mobiliser des forces autour de lui en s’imposant comme protecteur face à la menace bolchévique, et de justifier une partie de la collaboration, nécessaire, selon les dirigeants, pour palier au danger bolchévique. Mais pour les Savoyards, la menace communiste venant de l’intérieur ou de l’Est ne se dessine pas comme une réalité quotidienne, et devient une préoccupation bien lointaine. Par contre, la menace de l’occupation allemande et italienne se montre davantage bien réelle. Toutefois, dès la démobilisation, de nombreux anciens militants communistes sont arrêtés et internés à Fort-Baraux, mais aussi à Chibron, et à Saint-Sulpice pour les hauts-savoyards. Ces arrestations touchent aussi des militants qui n’avaient pas été mobilisés dont Thorens de Faverges et François Governatory, tous deux haut-savoyards.
De façon plus large, le gouvernement s’attèle tout particulièrement à vérifier les antécédents des membres de l’Education nationale. Il souhaite « réprimer avec énergie les menées communistes » au sein de cette institution. Il s’agit d’épurer de la fonction tous les membres susceptibles d’être communistes. La mesure s’élargit d’ailleurs à l’ensemble du secteur public. De même la symbolique est attaquée : dès la fin de l’année 1940, il est demandé aux maires des villes de Chambéry et d’Aix-les-Bains de renommer les rues Jean Jaurès. Les anciens membres du parti voient également leur permis de chasse refusé. Il est interdit d’éditer, de vendre ou de diffuser des champs et autres hymnes considérés comme communistes et anarchistes. Les investigations menées par les préfets, importantes dès l’automne 1940, redoublent à l’été 1941. La répression et la surveillance se développent donc bien à la fin de l’année 1940.
Le préfet de Savoie prend une série de mesure en application des instructions ministérielles et militaires : il cherche à contrôler toute forme possible de propagande dites défaitistes et/ou communistes. Les services préfectoraux recensent l’ensemble des éléments supposés subversifs par l’Etat français. Les communistes sont classés avec les repris de justice et autres individus considérés comme dangereux (fiches S) : ils y sont très majoritaires.
Sur le terrain, les conséquences sont perceptibles : des perquisitions sont menées au mois de décembre à Saint-Michel-de-Maurienne, puis dans l’ensemble de la vallée. Des perquisitions également réalisées à Chambéry donnent lieu à des arrestations puis des internements à fort Barraux. Enfin, aux Echelles, deux militants communistes sont arrêtés pour « propos communistes et antigouvernementaux » en janvier 1941. Le leader du groupe communiste d’Aix-les-bains, Angel Gruppo, est particulièrement surveillé, puis arrêté et interné, son frère doit passer dans la clandestinité.
Ces arrestations de l’hiver 1940-1941 correspondent évidemment à une logique idéologique du régime, mais également à un début de l’action communiste sur le territoire, même si elle est encore très limitée. En novembre 1940, une soixantaine d’hommes sont déjà engagés dans un triangle en Haute-Savoie. Les difficultés pour reprendre contact sont réelles, étant donné la surveillance des autorités d’autant plus qu’il faut convaincre les hommes de passer à l’action, ce qui n’est pas facile non plus. Les premiers actes consistent donc essentiellement à distribuer des tracts. Pour exemple, le 11 novembre 1940, à Annecy et Annemasse, villes dans lesquelles les activistes communistes peuvent imprimer, on retrouve justement des imprimés avec l’inscription « Savoyards d’abord, Français toujours, Italiens jamais : telle est notre fière devise ». En Haute-Savoie, dès le 26 octobre 1940, Georges Marrane rejoint la cité annécienne pour rencontrer Hubert-Albert Mugnier. Cette prise de contact vise à structurer l’organisation clandestine. Mais Mugnier échappe de peu à une arrestation et doit quitter la région. Trois personnes reprennent alors en main l’organisation communiste : Fernand Vigne, Alfred Martin et Jean Vittoz (préparateur en pharmacie d’Annemasse). Cependant Vittoz se retrouve rapidement seul, les autres devant fuir la répression. Ce syndicaliste de la région lyonnaise est chassé de sa corporation, il vient donc en Haute-Savoie où il est peu connu, ce qui lui fournit un atout majeur pour une activité clandestine. Des syndicats clandestins apparaissent sous la tutelle d’ouvriers à Annemasse, Thonon, Le Fayet, Chedde, Annecy. En Savoie, la reprise en main des structures communistes se fait d’abord par Henri Bourbon, mais il doit rapidement passer dans la clandestinité au printemps 1941. En mars 1941, la répression se concentre sur le secteur d’Albertville où des tracts sont distribués, notamment avant le déplacement du chef de la Légion, Costa de Beauregard, dans la cité albertvilloise.
Cette action donne lieu à plusieurs arrestations et quelques 25 personnes sont proposées à l’internement, dont Pierre Excoffier, mécanicien de Saint-Sigismond, condamné par la suite aux travaux forcés à perpétuité par le tribunal militaire de Lyon en octobre 1941. Les demandes de libération de sa femme, seule avec quatre enfants, et la lettre de l’un deux, adressée « à son grand père le Maréchal » n’y fera rien : Pierre Excoffier sera déporté.
[Encart : (retranscription exacte, sans correction)
Le 1er mai 1941
Cher Grand Père Marechal
Je t’écrit en cachette de maman qui pleure toujours depuis que l’on a pris notre papa.
A l’école mes camarades me disent que c’est toi qui nous la pris. Pourquoi veux tu du mal à notre papa qui est bien gentil pour moi mes frères et sœurs.
Moi je travaille bien à l’école, j’ai reçu la belle photo et tu me dis que tu est content de moi.
La maman la mis dans un cadre et ma dit que cela nous porterait bonheur.
Tu sera bien gentil de lui faire une belle surprise en nous renvoyant notre Papa, car il est malade et jamais il a dit du mal de toi.
Et je travaillerais encore mieux
Et je t’embrase bien fort
Robert Excofier ]
L’invasion de l’URSS, en juin 1941, modifie bien des choses : elle permet surtout au parti de sortir de son isolement et fragilise la propagande anti-communisme. De plus, les désillusions vis-à-vis du régime de Vichy grandissent à l’automne 1941, tout particulièrement dans le milieu ouvrier déçu de la charte du travail proposée en octobre 1941 par le gouvernement. Cette nouvelle période correspond à une multiplication des tracts distribués en Haute-Savoie. Dans son rapport envoyé au ministère, le préfet constate que depuis le mois de juillet, l’activité communiste, pour ainsi dire inexistante, se manifeste de nouveau dans le département. Le contenu des tracts est sans équivoque : « Vive l’armée rouge qui en défendant vaillamment le sol du pays des Soviets, se bat pour débarrasser la France des envahisseurs fascistes », « Les agents de l’étranger installés à Vichy pillent et ruinent la France au profit d’Hitler », « Chassons du pouvoir Pétain et Darlan qui ont mis les richesses de la France au service de Hitler, et sont les agents des trusts, profiteurs de la guerre et de la défaite ». L’action se concentre sur les secteurs d’Annemasse, de Saint-Julien et d’Annecy, car ils sont favorisés par une présence solide de militants et par les gares ferroviaires facilitant le transport de documents. Ce n’est pas un hasard si, en juillet 1941, des tracts sont trouvés dans les casiers des travailleurs de la SNCF d’Annemasse. Suite à une dénonciation, des perquisitions sont rapidement menées, et des tracts sont retrouvés chez Moine Fernand et Desbiolles Augustin. A l’approche de l’automne 1941, l’activité communiste touche des secteurs de plus en plus larges et la police pense à des impressions réalisées en Suisse puis acheminées sur le territoire français. En novembre 1941, la Légion signale au préfet une recrudescence de la distribution de tracts communistes, notamment par une feuille intitulée Le Travailleur Alpin des deux Savoies. Si des tracts stéréotypés, peuvent être transmis, l’impression de l’Humanité l’est aussi à côté d’affiches très artisanales.
A partir de l’année 1942, la quasi-totalité du département haut-savoyard est touché. La répression devient tout aussi importante. Pour exemple, au mois de janvier, une gigantesque perquisition est organisée dans toute la ville d’Annecy. D’ailleurs, comme un symbole de cette recrudescence, les services de préfecture qui établissent des rapports sur l’activité anti-gouvernementale dans le département, ne notifient plus « activité communiste » ou « propagande communiste », mais « propagande sournoise en faveur des théories communistes ».
Dans le département savoyard, deux nouvelles personnes, moins connues des services de répression, arrivent dans le département : Julien Touche et Alfred Martin. Clandestinement, ils réorganisent le parti mais Martin doit fuir pour Lyon. Touche reste seul. Par la suite, Jean Fédit et Ferdinand Granet prennent la succession, et organisent à leur tour l’activité clandestine. Par le moyen des tracts et de la presse ils peuvent lutter contre la propagande vichyste. Ils insistent sur les malheurs du temps : marché noir, raréfaction des produits, ... Sous l’impulsion des nouveaux cadres, la distribution des tracts augmente, et se trouve d’ailleurs rapidement constatée par les forces de l’ordre. L’activité se développe d’autant plus, que les activistes communistes sont capables de produire leurs propres tracts à partir de l’automne 1941. Jusque-là ils étaient imprimés à Grenoble et à Lyon puis acheminés sur zone. Si la réaction face au régime reprend son souffle, la répression ne faiblit pas et redouble à l’approche de l’hiver 1941 : 15 personnes sont détenues à la maison d’arrêt de Chambéry pour activités communistes, puis transférées à fort Barraux. Des perquisitions et recherches policières, qui ont cours dans la région d’Albertville, correspondent à la distribution de tracts dans la région d’Albertville-Ugine et de Chambéry-Aix. Une nouvelle vague de perquisition a lieu dans la région d’Albertville en mai 1942. Le 1er mai, devenu la Saint-Philippe devient l’occasion d’actions hostiles au gouvernement. Au-delà de la distribution de tracts, les autorités constatent amèrement que les monuments aux morts sont fleuris, avec bien souvent des inscriptions dites « antinationales » attribuées aux communistes. A Bissy, en 1942, on trouve même un drapeau rouge avec une faucille et un marteau posé sur un pylône.
Dans ses mémoires, Jean Vittoz rappelle combien les débuts sont difficiles. Certes, il s’agit de convaincre les hommes et les sélectionner selon leur fiabilité mais il faut surtout persuader la population que Vichy n’est pas une bonne solution. Les persécutions à l’encontre des juifs, des francs-maçons, comme des communistes favorisent le recrutement. De même, les politiques menées par le gouvernement le facilitent aussi, car elles se détournent des intérêts des travailleurs et notamment des milieux ouvriers, susceptibles d’être gagnés par les communistes. Effectivement, ces derniers se tournent naturellement vers d’anciens syndicalistes. L’ancienne CGTU, très présente dans le secteur de Chambéry et d’Albertville-Ugine, se révèle être un vivier important. La CGT unifiée compte encore, malgré une forte érosion depuis la fin des années 1930, plusieurs milliers d’adhérents. Le 15 novembre 1940, des dirigeants de la CGT et de la CFTC publient le « manifeste des douze » et s’opposent publiquement à la politique du gouvernement. Cette attitude à l’échelle nationale favorise le basculement de certains membres localement.
Après les désillusions liées à la charte du travail, c’est la politique de collaboration qui confortera les communistes dans leur action et gonflera leur rang.
Dès l’été 1942, le monde ouvrier subit directement le ralentissement industriel lié à la pénurie de matière première envoyée prioritairement en Allemagne. Cela provoque une baisse de l’activité, donc des salaires, alors même que les prix augmentent. Le rationnement est de mise. C’est à ce moment que Laval propose le système de La Relève en juin 1942. Il s’agit d’échanger un prisonnier français détenu en Allemagne contre trois travailleurs. Au mois d’août, des commissions départementales sont établies et de nombreux travailleurs sont désignés. Toujours dans le même esprit, le système du STO établi en février 1943 pour combler le déficit de main d’œuvre en Allemagne provoque la même hostilité (se reporter à la partie sur la collaboration). Ces mesures nourrissent le désarroi des populations, mais surtout enrichissent les rangs des mécontents. Et le parti communiste, passé dans la clandestinité très tôt et organisé, se trouve à même d’accueillir certains de ces « mécontents » et donc de multiplier les actions. Le passage à la résistance armée s’effectue à la fin de l’année 1942. En septembre 1942, 62 individus considérés comme communistes sont internés en Savoie et le nombre de convocation par la police d’anciens syndicalistes ou membres du parti se multiplient. (Concernant la résistance armée communiste se reporter à la partie sur la Résistance).
Romain Marechal