La collaboration (Savoie/Haute-Savoie)

 

Proposition de synthèse : La collaboration (Savoie/Haute-Savoie)

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Bibliographie :

  • François Broche, Dictionnaire de la Collaboration. Collaborations, compromissions, contradictions, Paris, Belin, 2014, 928 pages
  • Pascal Ory, Les collaborateurs, Paris, Seuil, 1980, 352 pages
  • Raphaël Spina, Histoire du STO, Paris, Perrin, 2017, 570 pages
  • Les grandes entreprises en Savoie pendant la seconde guerre mondiale. Collaboration économique et résistance. Institut CGT d’histoire sociale de la Savoie, Actes du colloque du 8 novembre 2002, Chambéry, 80 pages
  • Nathalie Bottollier-Curtet, Vie économique et quotidienne en Haute-Savoie pendant la Seconde guerre mondiale de novembre 1942 à aout 1944, Mémoire d’histoire, Université de Savoie, 1993, 214 pages
  • Aurélie Grenier, Les départs vers l’Allemagne depuis la Haute-Savoie au cours de la Seconde Guerre mondiale, Mémoire d’histoire, Université de Savoie, 2009, 179 pages
  • Bernard Garnier, Jean Quellien J. (dir.), La Main-d’oeuvre française exploitée par le IIIe Reich, Caen, CRHQ, 2003, 704 pages
  • Michel Aguettaz, francs-tireurs et partisans français dans la résistance savoyarde, Grenoble, PUG, 1995, 246 pages
  • Jean-Marc Berlière et Laurent Chabrun, Les Policiers français sous l’Occupation, Perrin, 2001, 386 pages
  • Christian Boudan, Policiers et gendarmes devant les cours de justice. Savoie, Haute Savoie, 1944-1946, Mémoire d’histoire, Université de Dijon, 1998, 117 pages
  • Yves Bravard, La Savoie 1940-1944. La vie quotidienne au temps de Vichy, Chambéry, SSHA, 1993, 63 pages
  • Yves Bravard, Les Savoyards et Vichy, Chambéry, SSHA, 1996, 128 pages
  • Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, Paris, Perrin, 2002, 576 pages
  • Michel Germain, Histoire de la Milice et des forces du maintien de l’ordre en Haute-Savoie 1940-1945, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 1997, 507 pages
  • Michel Germain, La nuit sera longue. En Haute-Savoie de septembre 1939 à novembre 1942, Les Sables-d’Olonne, Le cercle d’or, 1988, 517 pages
  • Michel Germain, La Haute-Savoie 1939-1945, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2014, 284 pages
  • Pierre Giolitto, Volontaire français sous l’uniforme allemand, Paris, Perrin, 2007, 576 pages
  • Irene Di Jorio, Techniche di propaganda politica. Vichy et la Légion française des Combattants (1940-1944), Rome, Carocci, 2006, 182 pages

Commentaire bibliographique: Il n’est pas possible de présenter l’ensemble des ouvrages traitant de la collaboration ou d’un aspect de la collaboration. Relevons toutefois le Dictionnaire de la collaboration sortie en 2014 par François Broche. A l’échelle locale aucun ouvrage ne propose une synthèse ni une étude approfondie de la question. En dehors du livre de Michel Germain sur la Milice en Haute-Savoie, il faut piocher au sein de multiples travaux des informations diverses et variées, en contenu et en qualité, afin d’obtenir une première vue d’ensemble.

Texte :
La collaboration revêt des habits et des réalités bien différentes. L’acte de collaborer n’a pas forcément le même sens, la même épaisseur et la même dramaturgie historique en fonction de sa nature et de sa portée. Nous souhaitons, ici, évoquer la collaboration de 1940 à 1944 dans les deux départements savoyards sans prétendre à l’exhaustivité mais, au contraire, en s’efforçant de dépeindre la palette des collaborations et de les illustrer au mieux pour offrir un tableau représentatif.

Collaborer, c'est-à-dire travailler et agir en concertation avec l’occupant, car c’est bien de cela qu’il s’agit, s’effectue par le haut : la collaboration d’Etat, mais aussi par le bas : la collaboration privée et quotidienne.

La collaboration d’Etat, voulue et mise en œuvre par Vichy, est symbolisée par la poignée de main entre Pétain et Hitler à Montoire le 24 octobre 1940. Elle peut se décliner en quatre grandes catégories : raciale, policière, militaire et économique.

La première, la collaboration raciale, est déjà largement évoquée dans la partie consacrée à la situation des juifs en Savoie. Néanmoins, il est possible ici de compléter ce propos en insistant sur le rôle joué par le bas, en réponse aux politiques raciales mises en place au plus haut de l’Etat. Cette réponse se caractérise, entre autre, par la dénonciation et par l’action d’une instance clef du régime de Vichy : la Légion. Quelques exemples de lettres, échangées en 1942 et 1943, permettent d’illustrer parfaitement la situation. Les deux premières en date du 7 août 1942 et du 8 juin 1943 sont envoyées par le chef de la Légion, Costa de Beauregard, au préfet de Savoie. La population juive, dont il ne précise pas si elle est étrangère ou non, est la cible de ces dénonciations. Un lien direct est établi entre le marché noir, la situation précaire des Savoyards, et le rôle supposé néfaste des juifs. Les dates de ces lettres sont comme un miroir de la situation tant locale que nationale. Elles rentrent en résonance avec les évènements dramatiques qui se jouent alors. Quelques jours après la première lettre, le gouvernement organise de grandes rafles, notamment en Savoie, à l’encontre de la population israélite. L’écriture de la deuxième s’effectue alors que les autorités italiennes s’opposent directement aux préfets savoyards concernant le sort des juifs. Les premières protègent ces derniers, notamment en facilitant leur présence dans des centres hôteliers d’altitude.

Chambéry, 7 août 1942, le chef de la légion au préfet.

[…] au sujet du marché noir. Celui-ci est pratiqué sur une très vaste échelle par les juifs en résidence à Aix […]. Si des sanctions très sévères ne sont pas appliquées, nous allons assister à un effondrement de la moralité […]. Aussi vins-je vous demander si vous êtes décidé à envoyer dans des camps de concentration les juifs ou autres, qui seraient pris à pratiquer le marché noir ; dans l’affirmative, je me permettrai de vous donner les noms […]. On me signale d’autre part, que certains juifs internés dans des camps reçoivent jusqu’à 5 000 francs par mois. Cet argent ne peut leur servir qu’à faire du marché noir et soudoyer leurs gardiens.

Chambéry, le 8 juin 1943, le chef de la légion au préfet.

J’apprends que les hôteliers du Beaufortain, de La Léchère, Saint-Bon, Grand-Cœur se plaignent d’être envahis par les juifs et de ne pouvoir, pour cette raison accueillir leur clientèle habituelle. La situation est à peu près la même à Aix.

Ne serait-il pas possible d’éviter cette installation d’accapareurs Juifs, […]

Ces exemples permettent également de comprendre le rôle d’informateur joué par la Légion et le sens pris par les renseignements provenant au plus proche du terrain. Les politiques raciales du gouvernement libèrent la parole et favorisent effectivement la délation, comme l’illustre parfaitement un dernier exemple, à savoir la correspondance entre le maire de Valloires, Costa de Beauregard et le préfet.

Chambéry le 18 janvier 1943 à Monsieur le préfet de Savoie de Légion Française des combattants et des volontaires de la Révolution Nationale. Signé Costa de Beauregard.

M. Michelland, maire de Valloires, me signale le rôle néfaste que continue à jouer dans la commune le Juif Marcel Aberman. Les hôteliers, les estivants et les familles nombreuses non productrices se sont plaints des agissements de ce personnage  […]. Michelland, comme de juste, a non seulement refusé cette autorisation (renouvellement de l’autorisation de séjour d’Aberman), mais allant plus loin, il a demandé avec raison l’expulsion de ce Juif. Si je me permets d’intervenir auprès de vous dans cette affaire, c’est pour vous prier, moi aussi, de débarrasser le pays de l’indésirable Abermann, lequel m’a été signalé déjà, à plusieurs reprises, comme un célèbre trafiquant du marché noir.

Réponse du préfet au président de la légion

[…] J’ai l’honneur de vous informer qu’une Commission Spéciale siégeant à la Préfecture a prononcé l’incorporation de cet étranger dans un groupe de travailleurs, mais qu’au lieu de se rendre à la décision prise Abermann a pris la fuite […]

La deuxième, la collaboration économique, est d’abord symbolisée par la dette de guerre payée par la France à l’Allemagne, à laquelle on peut ajouter le travail des prisonniers de guerre français à l’intérieur même du Reich. Elle se décline aussi par les commandes allemandes faites aux entreprises françaises. De 1941 à 1944, entre 30% et 40% de la production industrielle française se fait directement au profit de l’Allemagne et l’industrie savoyarde n’y échappe pas. Les deux départements, sans égaler les grandes zones industrielles françaises, ont un potentiel économique industriel non négligeable. Quelques exemples peuvent en témoigner : les aciéries d’Ugine, l’usine de roulement à bille d’Annecy, la métallurgie et l’aluminium en Maurienne, et bien sûr, l’usine Renault de Saint-Michel. Ces sociétés reçoivent des commandes de l’occupant et leur production participe à la fois à l’effort de guerre du Reich, et à la fois au maintien de l’activité au plan local. Les livraisons de ciment de la société Chiron et les envois de chlorates de l’usine de Plombières en sont deux exemples représentatifs. Une question légitime s’impose au regard de ce constat : comment jauger cette collaboration ? Il est bien difficile de clarifier la part de réquisitions imposées de celle des livraisons espérées pour l’argent ; comme il est compliqué de faire la part entre le zèle d’un chef d’entreprise et le ralentissement volontaire d’une production. C’est en fait la question de la collaboration active ou passive qui est posée, mais également celle de la résistance, lorsqu’une entreprise freine, par exemple, volontairement sa production. Ces interrogations ne peuvent être tranchées arbitrairement ou précipitamment sans une longue étude approfondie menée sur les deux départements. Nécessaire à l’effort de guerre allemand, ces entreprises et leur production en partance, via notamment la Maurienne par le chemin de fer, seront la cible de la résistance savoyarde et des bombardiers alliés. Alors que la pénurie des matières premières se fait de plus en plus sentir à partir de 1942 et que la main d’œuvre qualifiée devient de plus en plus demandée, l’industrie de décolletage ne connaît pas en Haute-Savoie d’interruption de travail. Les Allemands sont soucieux du maintien de la production, passent de nombreuses commandes et dispensent globalement les ouvriers du STO.

Ce dernier ressort est d’ailleurs un autre aspect de la collaboration économique. Les autorités du Reich doivent faire face aux échecs militaires sur le front de l’Est. De nombreux Allemands sont alors mobilisés, la main d’œuvre dans le pays en devient déficitaire. Plusieurs centaines de milliers de travailleurs français vont par conséquent partir en Allemagne de façon volontaire ou forcée pour participer à l’effort de guerre allemand. Sous l’impulsion de Laval, le régime de Vichy adopte en juin 1942 « la Relève ». Sur la base du volontariat, un prisonnier français détenu en Allemagne est échangé contre trois travailleurs français utilisés soit dans le Reich soit à la construction du mur de l’Atlantique dans le cadre de l’opération Todt. En Haute-Savoie, le premier départ de onze personnes a lieu à la fin du mois de juillet. La mesure reste peu efficace dans le département comme pour l’ensemble du territoire. C’est pourquoi, en septembre la loi devient plus contraignante, en prenant notamment un caractère obligatoire pour certains. Néanmoins, entre 1942 et 1944, 442 hommes et femmes s’engagent volontairement pour travailler en Allemagne. Faut-il en déduire que cela relève d’un esprit collaborationniste ? Pas forcément, car ces individus sont surtout de jeunes gens célibataires ou veufs, précaires, peu qualifiés, et disposant de bien faibles perspectives d’avenir : un travail en Allemagne devient une opportunité, l’espoir d’un avenir meilleur. A cela s’ajoute quelques dizaines de personnes parties dans le cadre de la Relève mais de façon forcée. En février 1943, le STO est instauré pour satisfaire la demande croissante en main d’œuvre de l’Allemagne. Les jeunes hommes nés entre 1920 et 1922, puis jusqu’en 1924 à partir de 1944, sont susceptibles, après examen, de partir travailler deux ans en Allemagne. Mais les autorités sont loin de combler leur objectif. Alors que l’administration haut-savoyarde espère envoyer pour la fin avril plus de 1000 jeunes, seulement 149 partent réellement. Et cinq mois après sa mise en place, 250 hommes sont envoyés en Allemagne dans ce cadre. Ce qui fait qu’en mai 1944 un peu moins de 400 individus sont partis pour le STO. A la fin de l’occupation, sûrement plus de 600 travailleurs sont partis, non pas sur la base du volontariat, mais forcés dans le cadre d’une politique de collaboration. Pour le département de Savoie, sur les 2 600 ouvriers convoqués dans le cadre de la Relève, seulement un peu plus de 400 partent pour l’Allemagne. En juillet 1943, sur les 4 809 requis pour le STO près de 3 000 sont notifiés comme insoumis ou réfractaires, moins de 300 partent réellement.

La Relève et le STO, symboles de la collaboration de Vichy avec l’Allemagne nazie, engendrent de nombreux mécontentement, provoquent diverses manifestations et finissent par gonfler les rangs de la Résistance. Dès le mois de mai 1942, le préfet de Savoie signale que l’annonce de la Relève a été accueillie au « plutôt mourir de faim que d’aller travailler en Allemagne ». Le sous-préfet d’Albertville précise qu’ « à quelques exceptions près, les ouvriers ne veulent pas se rendre en Allemagne », et ce, pour diverses raisons : « les uns étant des semi-agriculteurs », « il n’existe pas de lien entre le nombre de départs et celui des retours », « la crainte de l’avenir dans un pays inconnu », « les préjugés contre l’Allemagne », « les liens familiaux les attachent à leur petite ville ». A la fin de l’année 1942, en Haute-Savoie, des centaines de décolleteurs de la vallée de l’Arve se rassemblent place de la mairie à Cluses pour s’opposer à la publication d’une liste de noms. D’autres défilés sont organisés à Rumilly, Faverges, Seyssel et Thorens, au début du mois de mars, les mots d’ordre étant toujours les mêmes « nous n’irons pas en Allemagne ». On sort alors les rubans tricolores, et on entonne la Marseillaise comme le chant des Allobroges. De même, en Savoie, le 14 octobre 1942, suite à la parution d’une liste composée de 32 noms d’employés de la SNCF et de l’usine d’aluminium, tous désignés pour partir en Allemagne, 300 ouvriers composés majoritairement de cheminots, d’employés de l’usine d’aluminium et de la société des Allobroges, se dirigent vers l’emblématique socle de la Sasson de la cité chambérienne pour y déposer des gerbes de fleurs et entonner l’hymne national. Le cortège est applaudi par la population puis se dirige à la préfecture aux cris de « nous n’irons pas en Allemagne » « Laval au poteau » « SOL en Allemagne ». Vers 20h, quelques manifestants sont arrêtés. Le lendemain, une grève est déclenchée par les ouvriers de l’usine d’aluminium pour obtenir la libération de leur camarade et 230 ouvriers du dépôt occupent la rotonde pour empêcher le départ du train. Le préfet réagit avec fermeté est ordonne d’évacuer les lieux, des arrestations supplémentaires sont également effectuées. Mais le mécontentement ne s’éteint pas, le mouvement de grève se poursuit et s’étend à l’usine Chapuis. Finalement, ce n’est que le 17 octobre que les choses s’apaisent. La Sasson, le premier lieu de convergence de cette manifestation contre l’envoi de travailleur, devient malgré elle, le symbole d’une collaboration économique, et ce, à travers la récupération des métaux non ferreux. Alors que la statue est déboulonnée en 1942, des affiches de propagande encouragent la population à donner leurs métaux pour soutenir l’activité économique dans le pays. Derrière le maintien de l’activité de l’industrie française c’est pourtant bien l’effort de guerre allemand que l’on soutient.

A leur retour d’Allemagne, les travailleurs volontaires seront exclus de l’Association des internés et déportés politiques. De plus, il est demandé en Haute-Savoie de les appréhender à leur retour et de les envoyer travailler à la mine d’Entrevernes (camp de travail).

Conséquence des deux premières, la troisième collaboration devient indispensable au régime : la collaboration policière. Déjà, dans le cadre de la Révolution Nationale, les ennemis désignés et présentés comme les forces de l’anti-France, à savoir les juifs, communistes, francs-maçons et étrangers, deviennent les cibles privilégiées des forces de l’ordre. D’ailleurs, la réorganisation de la police en avril 1941 répond clairement à cette ligne politique avec la création de GMR (Groupes Mobiles de Réserve) et d’unités spécialisées avec la SPAC (Service de Police Anti-Communiste), la PQJ (Police aux Questions Juives) et la police des sociétés secrètes. Comme nous l’avons déjà démontré dans les chapitres consacrés à la situation des juifs, communistes, étrangers et francs maçons dans les départements savoyards, le rôle des services de l’ordre est clairement établi, aussi bien pour la constitution de liste, la surveillance des camps, que pour les arrestations et les déportations. Ils participent donc activement à la politique de collaboration orchestrée par le régime. Les services de police se retrouvent également à rechercher et contrôler les jeunes travailleurs du STO. Toutefois l’efficacité de l’action policière reste toute relative, moins du tiers des quelques 3 000 défaillants recherchés dans les deux départements, est finalement retrouvé. Effectivement, les réfractaires s’enrôlent, pour une partie d’entre eux, dans la Résistance. Certains se retrouvent dans les groupes du plateau des Glières, attaqués par les forces allemandes et françaises, notamment celle des GMR. Attaché à la police mais constitués sur le modèle de la gendarmerie, ces Groupes Mobiles sont placés sous l’autorité du préfet de région. Pour autant, il ne faut pas les confondre avec la Légion du Dauphiné de Savoie : nom de la brigade de gendarmerie compétente sur les départements de Savoie, Haute-Savoie et de l’Ain.

La collaboration militaire est le dernier axe de cette collaboration d’Etat. Plusieurs protocoles signés entre les deux autorités encadrent cette alliance dans la métropole mais surtout dans les colonies, en Afrique du Nord et au Levant. Ces dernières zones géographiques voient effectivement des forces armées françaises opérer aux côtés de troupes allemandes. Mais ces théâtres d’opération restent lointains. Par contre, la Milice et la Franc-garde sont une réalité pour les Savoyards. En juin 1942, le Service d’ordre légionnaire ne regroupe que 900 hommes en Haute-Savoie et 600 en Savoie. Au début de l’année 1943, il donne naissance à la Milice française. En Haute-Savoie, une bonne partie des membres du SOL intègre la Milice, Gaston Jacquemin reste le dirigeant. On comptabilise en Haute-Savoie en février 1943 un peu plus de 500 miliciens. En Savoie, le succès n’est toujours pas au rendez-vous, sans toutefois apparaître totalement répulsif, car l’institution regroupe en octobre 1943 un peu plus de 300 miliciens dans le département. L’image des miliciens conserve globalement un aspect négatif au sein de la population : ils restent peu appréciés, critiqués voire haïs. Notamment pour leur usage de la violence et leur collaboration active avec l’occupant. L’affaire de Menthon, régulièrement relayée dans les ouvrages consacrés à la période, est ô combien révélatrice du peu de sympathie que s’attirent les membres du SOL. Apres lui avoir tendu un piège, en date du 2 mai 1942, ils humilient le comte de Menthon en le molestant. Ce sont des agents de police qui viendront à son secours. De Menthon, futur ministre à la libération, porte plainte auprès du procureur. L’affaire fait grand bruit à Annecy comme dans le reste du département, mais s’ébruite également jusqu’au gouvernement, et même à Londres. En novembre 1943, les miliciens font sauter le café Arragain à Annecy pour faire croire à une action des maquisards et conforte un peu plus leur impopularité. Le tout est ridiculement monté et ne trompe personne, d’autant plus que le patron du café se trouve suspecté de proximité avec les résistants. A partir de juillet 1943, autorisés à porter des armes, les attaques punitives contre les maquisards finissent par se multiplier. Dès l’automne 1943, les services préfectoraux notent de façon appuyée la très mauvaise image de la milice au sein de la population. Au sein de celle-ci se constitue la Franc-garde, en uniforme, armée et entraînée : il s’agit d’un bras armé pour le régime qui s’organise militairement. Annecy ne regroupe que 72 hommes de la FG, le double a parfois pu être évoqué. Symbole de l’action armée et de la collaboration avec l’occupant, les drames de Haute-Savoie qui voient s’opposer les maquisards aux miliciens alliés de la Gestapo, révèlent également les distorsions au sein de la société savoyarde. Ces affrontements sont largement racontés avec force d’informations dans divers ouvrages de Michel Germain. Emblème de la collaboration avec l’ennemi, ils deviennent la cible de la répression à la libération. Comment ne pas rappeler le déferlement de haine de plusieurs centaines de personnes qui prennent d’assaut les wagons arrivant en gare de Chambéry le 1er octobre 1945, et ce, afin d’amener des miliciens devant la cour de Chambéry ?

Mais la création de la Légion des Volontaires Français marque l’organisation des collaborationnistes français en dehors de l’institution étatique. La LVF ne dépend pas du gouvernement, c’est une association. Entre 1941 et 1944, des milliers de volontaires s’engagent dans ses rangs, et 7 000 d’entre eux partent pour le front de l’Est. Les archives ne dénombrent qu’une vingtaine de candidatures de haut-savoyards, probablement pas exhaustive, elles restent néanmoins significatives de la faible portée de cette structure. Le bureau départemental de la LVF d’Annecy est placé sous la direction de Cornet. En Savoie, Jean Barret, est quant à lui, le délégué départemental. Suite à sa dissolution le 9 août 1944, les biens de l’association sont placés sous séquestre. Le 19 août 1944, les vitrines du bureau de la LVF à Chambéry sont cassées à coup de revolver.

Au-delà de la collaboration d’Etat proprement dite, se distingue une autre forme de collaboration, la collaboration politique et propagandiste. Elle consiste finalement à promouvoir et soutenir l’œuvre ainsi que la politique du régime de Vichy, donc la collaboration d’Etat. Parfois, notamment dans certains mouvements politiques, elle dépasse ce simple soutient et revendique une adhésion complète au régime allemand jusqu’à souhaiter clairement la victoire du système Nazi.

De nombreuses réunions publiques d’information ont pour objectif direct de gagner les esprits. Des conférences ayant pour sujet « l’anti-France » s’organisent régulièrement. Pour exemple, le 23 juin 1942, une réunion de propagande sur les agressions anglaises et les attentats communistes se déroule à Annecy sur le Pâquier, se transformant en une manifestation contre les bombardements anglais et les assassinats communistes. Toutes ces actions orchestrées par le secrétariat à l’information et de la propagande, se retrouvent relayées par ses comités locaux, qu’ils soient départementaux ou communaux. Ainsi, de véritables tournées de conférence-propagande sont organisées dans toute la France ou juste pour la zone occupée. La propagande passe aussi par la censure de l’information. Il s’agit de diffuser les idéaux du régime, certes, mais aussi de limiter la propagation d’idées contraires ou tout simplement moins conformes à l’idéologie du nouveau régime. Au quotidien, l’objectif de ces comités se résume surtout à prévoir la diffusion de différentes affiches gouvernementales, du portrait du Maréchal et de divers messages anticommunistes…, et en fin de compte, à assurer la propagande du gouvernement au plus près des populations. A la libération, ces activistes au service de Vichy seront inquiétés. On peut prendre pour exemple, une instruction menée à l’encontre du délégué régional à la propagande, Courtassol, basé à Lyon mais en lien direct avec le PPF d’Annecy.

Les partis collaborationnistes sont bien présents sur le territoire savoyard, sans pour autant atteindre une quelconque dimension significative. Prenons le cas de la Haute-Savoie où il existe plusieurs partis désignés comme pro-gouvernementaux, regroupant des sensibilités très différentes allant des royalistes aux fascistes.

Les services préfectoraux de Haute-Savoie notent effectivement comme pro-gouvernementaux des partis ou des groupements politiques qui ne le sont pas forcément. Pour éclairer ce point, prenons deux exemples très représentatifs. Les RG surveillent les royalistes qui, en septembre 1943 s’élèvent toujours un peu plus de 200 sympathisants dans le département. Cependant, ils ne déploient aucune activité. Leur adhésion aux idéaux pétainistes devient donc plus supposée que démontrée. A ses côtés, le Parti Social Français, composé de plus de 200 adhérents à la fin de l’année 1943, rebaptisé Progrès Social Français, suite à la dissolution des partis, rentre lui aussi dans la liste des organisations considérées comme pro-gouvernementales par les services de préfecture. Ce parti fondé à la suite de la dissolution des croix de feu par le colonel de la Rocque, pouvait s’enorgueillir d’être le premier parti de France en nombre d’adhérents à la veille de la guerre. Le parti se veut ni communiste ni fasciste et sa position vis-à-vis de Vichy s’avère complexe. Son dirigeant utilise même cette structure pour organiser un réseau de résistance. En novembre 1941, le président de la fédération départementale du Progrès Social Français le reçoit dans le département. En avril 1941 une réunion organisée au casino d’Annecy propose une tonalité assez critique contre le gouvernement de Vichy, mais rappelle la position « ni Anglais ni Allemand » du mouvement.

Par contre, le mouvement l’Emancipation Nationale qui ouvre une permanence en août 1942 à Annemasse, se montre clairement pro-Allemand. En mai, ce petit groupe organise une conférence, suivie par une centaine de personnes. Le discours s’appuie sur des thèmes clivants : anti-juifs, anti-maçons, collaboration étroite avec le Reich. Le Cercle Populaire d’Annecy leur facilite l’organisation d’une nouvelle présentation dans la ville. Plus important à l’échelle nationale, le parti franciste regroupe quelques sympathisants en Haute-Savoie. En septembre 1943, une petite centaine de membres est dénombrée dans le département, ayant une activité restreinte. En France, ce groupe politique dirigé par Marcel Bucard –un des fondateurs de la LVF-, rassemble à son apogée 8 000 membres. Au niveau local, Bouvier et Clerc dirigent le mouvement. Une lettre de l’un d’entre eux interceptée fin août 1942 par les services administratifs rend bien compte de la position du parti :

Mon cher camarade,

Mes trois fils (sur 6), qui s’occupent beaucoup du francisme, me communiquent chaque semaine votre journal.

Anti-juif, anti-Anglais, anti-fumiste, anti-franc-maçon, Français 100%, Savoyards, ce qui est beau, j’avais pensé que la Légion serait quelque chose.

Crise de Chefs, voyez-vous…

On est Chef, on s’impose si l’on est Chef, vous me comprendrez vite…

Puis ce fut France-Révolution… Encore du bavardage facile…Mais encore un espoir déçu…

Avant de vous dire tout ce que je voudrais pouvoir dire, je vous pose une question précise : Avez-vous le Maréchal, l’Amiral, Mr Laval avec vous ?

Et si je donnais à votre mouvement, quoique fonctionnaire, puis-je avoir la certitude que même si j’étais très dur, en particulier pour…

 

Enfin, le Parti Populaire Français s’avère le mouvement le plus actif dans le département. Dirigé par Jacques Doriot à l’échelle nationale, il se positionne comme l’un des deux plus gros partis collaborationnistes sur le territoire français, avec le Rassemblement National Populaire de Marcel Déat. Une petite centaine de membres, sous la direction de Besson et Defoite, organisent localement des conférences, avec l’appui des Cercles Populaires Français. L’Union Populaire de la Jeunesse Française en découle mais ne compte que très peu d’adhérents dans le département. Il peut toutefois rassembler près de 300 jeunes à Annecy, en août 1941, pour une conférence visant à dénoncer les francs-maçons, juifs, Britanniques et Russes et à glorifier la Légion anti-bolchévique ainsi que la collaboration avec l’Allemagne. En juin 1942, la section d’Annemasse organise une réunion au cours de laquelle Pétain est critiqué et Doriot valorisé pour ses positions pro-collaborationnistes. Ce dernier, l’un des fondateurs de la LVF, combattra sur le front de l’Est, sous l’uniforme allemand, avant de mourir en février 1945 en Allemagne. Parmi les partis collaborationnistes, le PPF demeure le plus dynamique sur le terrain haut-savoyard, les autres étant globalement très peu actif voire éteint. Néanmoins, les services de préfecture, notent que le PPF n’a déjà plus d’activité en novembre 1943, du fait de la fuite de ses dirigeants, menacés par la Résistance.

La collaboration revêt également une réalité plus simple mais parfois moins palpable, c’est celle du quotidien. Elle renvoie, par exemple, aux relations amicales avec l’occupant, voire même amoureuses. Pour exemple, un rapport des RG de janvier 1947 rappelle que « Madame Augoyard ne fait pas l’objet de bons renseignements de conduite de moralité. Qu’en effet, pendant l’occupation, elle travaillait pour les troupes allemandes à la caserne de Galbert. De mœurs légères, elle recevait fréquemment, tout d’abord des militaires italiens puis allemands ».  Cette forme de collaboration correspond tout simplement aussi aux actes de dénonciation, symbolisés par l’envoi de lettres. Sans correspondre à un geste politique fort, elles n’en demeurent pas moins un acte collaboratif. Relevant souvent de rancœur personnelle ou de vengeance familiale, elles peuvent aussi répondre aux convictions politiques réelles d’une personne. Les motivations de ces courriers, estimés à plusieurs millions sur l’ensemble du territoire, sont donc extrêmement variées. Rares au sein des archives locales, il est toutefois possible d’en proposer un exemple représentatif ci-dessous.

Albertville, février 1944

Commandatour Allemande Moutiers

Le 24 février vous auriez poursuivis votre enquête au Cudray chez Carret Julien, vous auriez pris JACQUEMIN Louis que vous recherchez depuis que vous devez le prendre au café Nosinge à N. D. Briançon ; maintenant CARRET Julien la emmener cacher ailleurs en le prenant lui CARRET vous pourriez savoir.

Un Collaborateur.

Apres la libération, dans le courant des mois d’octobre et de novembre 1944, le commissaire des Renseignements Généraux enquête pour identifier les auteurs ou l’auteur de cette lettre. Sans certitude de la part de ses services, l’enquête reste sans suite. Néanmoins, l’un des suspects est présenté comme voulant exercer une vengeance personnelle à l’encontre d’un des protagonistes de l’affaire.

Cette collaboration est effectivement sanctionnée à la libération. De nombreuses personnes, anciens miliciens, proches du mouvement PPF, propagandistes, travailleurs volontaires, etc, sont notamment expulsées du département, interdites dans une commune, ou tout simplement assignées à résidence. D’autres sont emprisonnés, jugés et condamnés.

Encart :

La retranscription sans commentaire de quelques documents concernant le cas du président de la Légion en Savoie, le marquis Costa de Beauregard, rend bien compte des attentes des uns et des autres et des frustrations engendrées par les différentes décisions. Pour précisions : rappelons seulement qu’en Haute-Savoie, le délégué départemental Vergain est également poursuivi pour avoir participé à l’éviction de maires, signalé des personnes suspectées de Gaullisme et manifesté de la sympathie pour le SOL. En fuite, il est recherché en décembre 1944, le préfet propose de l’inculper de menées antinationales.

30 novembre 1944, le président de la Commission Départementale d’Epuration au préfet.

[…] La préfecture possède ou devrait posséder des preuves de la répression effective par Costa a l’encontre des fonctionnaires de tous ordres du département […]. Son attitude en ce qui concerne le STO, la Milice et la répression menée contre les patriotes a été celle d’un serviteur zélé, observateur, scrupuleux des consignes reçues. En résumé, Costa a jusqu’au bout […], occupé la place de préfet occulte de la Savoie […]. Et il n’a jamais protesté contre les méthodes, les exactions ; les crimes de la Milice qu’il a couvert en toutes circonstances de son autorité. […]

Rapport du président du CDE sur Costa, (sd)

[…] en se comportant de la sorte vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme lui, cet homme a trahi les intérêts de la France. […]

Le 10 janvier 1945, le procureur général du parquet de Chambéry.

[…] A la suite d’une plainte déposée par le Comité d’épuration contre M. Maillard (ancien préfet) et Costa de Beauregard, j’ai fait ouvrir une information contre M. Costa de Beauregard. […]

Le 29 janvier 1945, le préfet de Savoie à Monsieur le ministre de l’Intérieur.

[…] Costa de Beauregard arrêté une première fois le 23 août 1944, jour de la libération de Chambéry, par ordre de la Commission d’Epuration du CDL, est libéré deux jours après. Puis incarcéré de nouveau le 28, également sur instructions de la Commission d’Epuration. L’intéressé a comparu le 11 octobre devant la commission de criblage. J’ai l’ai remis en liberté, en lui demandant de quitter la Savoie, ce qu’il fit immédiatement. […]

Le 19 juillet 1945, le commissaire au préfet.

[…] Costa, 74 ans, père de 3 enfants, chef de bataillon de réserve, rentier, propriétaire foncier, officier de la légion d’honneur, conseiller général, maire de la Ravoire. Appartient au groupe les Républicains savoyards pendant plusieurs années, fait partie du mouvement Croix de Feu jusqu’en 1936. Chef de la légion. Mais ne semble pas avoir participé à la répression contre les patriotes ou qu’il est favorisé les départs en Allemagne. Il ne semble pas, à mon avis, qu’il y ait lieu de considérer Costa comme un individu dangereux pour la sureté intérieur ou extérieure […], étant donné le grand âge de l’intéressé et la décision qu’il aurait prise en octobre 1944 de se retirer définitivement de la vie publique […]

Le 20 juillet 1945, le préfet de Savoie au commissaire de la République.

[…] Je vous envoie, d’autre part, sous ce pli, une copie des avis, d’ailleurs contradictoires, émis par la Commission d’Epuration du Comité Départemental de Libération et par le commissaire, chef du Service Départemental des Renseignements Généraux sur le point de savoir si Costa de Beauregard doit être considéré comme un individu dangereux pour la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat. […] l’intéressé est resté jusqu’à la libération président départemental de la Légion… mais qu’il n’a pas appartenu au SOL ni à la Milice. Il a certainement couvert d’un nom respecté en Savoie bien des agissements répréhensibles commis par ses subordonnés, mais aucun acte précis n’a pu être relevé en ce qui le concerne. […] 

Le 26 septembre 1945, le Comité Départemental de Libération de la Savoie au préfet de la Savoie.

Monsieur le Préfet,

En réponse à votre lettre du 19 septembre, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le CDL a, dès après la libération, manifesté ses sentiments à l’égard de M. Costa de Beauregard, en faisant procéder à son arrestation. M Costa de Beauregard a été libéré par M. Monnier, ancien préfet de la Savoie, à la suite de hautes interventions, malgré l’opposition du CDL. Le CDL considère que l’intéressé qui a été chef départemental de la Légion jusqu’à la libération, est grandement responsable de l’organisation du SOL en Savoie, organisation transformée par la suite en Milice. D’autre part,M. Costa de Beauregard a mené une action nettement vichyssoise dans l’administration politique provoquant le départ de municipalités républicaines et demandant en plusieurs occasions des poursuites contre les éléments gaullistes. Le CDL pense que le cas de M. Costa de Beauregard doit être réglé devant les tribunaux.

Le 11 octobre 1945,

La chambre civique de la cour de justice de la Savoie le condamne à la dégradation nationale à vie, à la confiscation de tous ses biens, et à l’interdiction de résider en Savoie.

Le 7 janvier 1949 :

Acquittement par la cour de justice de Lyon de M. Costa de Beauregard, ancien chef départemental de la Légion.

Romain Marechal