Chambéry bombardée, Chambéry blessée, Chambéry soignée

 

Proposition de synthèse : Chambéry bombardée, Chambéry blessée, Chambéry soignée

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Sources imprimées:

  • Bombardement de la ville de Chambéry par l’aviation anglo-américaine, Chambéry, Impr. Chambérienne, 1944, 55 pages.

Bibliographie :

  • Bombardement de Chambéry, Recueil et témoignages, 26 mai 1944, 60° anniversaire, Chambéry, Société des Amis des musées de Chambéry, 2004, 23 pages*Le bombardement du 26 mai 1944, Chambéry, Amis du Vieux Chambéry, 1980, 101 pages
  • Jean-Olivier Viout et Claude Fachinger, Chambéry bombardé…Chambéry libéré, Chambéry, Amis du Vieux Chambéry, 1984, 96 pages
  • Jean-Olivier Viout, Chambéry 1944, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2011, 375 pages
  • G. R. Anderson, Bombing Chambéry, Les aviateurs américains racontent le bombardement de Chambéry le 26 mai 1944, Chambéry, Chambéry Action, 1983, 37 pages
  • Monique Dacquin, Après le bombardement, Chambéry, Amis du vieux Chambéry, 2009, 39 pages
  • Kelly Anderson, 90 secondes pour tourner la page, mémoire de master, Ecole supérieure d’architecture de Versailles, 2011, 94 pages
  • Eddy Florentin, Quand les Alliés bombardaient la France 1940-1945, Paris, Perrin, 1997, 648 pages
  • Andrew Knapp, Les Français sous les bombes alliées 1940-1945, Paris, Tallandier, 2017, 631 pages

Commentaire bibliographique : La connaissance des bombardements sur la France durant la Seconde Guerre mondiale est désormais acquise grâce au livre d’Eddy Florentin publié en 1997 et à travers l’excellent ouvrage, sorti en 2017, d’Andrew Knapp intitulé Les Français sous les bombes alliées 1940-1945. Ils permettent de resituer dans un contexte plus large les bombardements subis dans les départements savoyards et plus particulièrement celui de Chambéry. Localement, les diverses publications de la Société des Amis de Chambéry offrent un récit très complet de l’évènement et propose de nombreuses informations documentées. Enfin, deux travaux particuliers, dans lesquels ont été puisés de multiples renseignements sont à souligner : la publication de G. R. Anderson, Bombing Chambéry, qui retrace avec minutie la préparation et le déroulement du bombardement, et le travail de Kelly Anderson qui reprend un aspect original du bombardement, à savoir la reconstruction de la ville. Dans le cadre original d’un mémoire d’une Ecole d’architecture il en propose une lecture très riche.

Texte :
Plusieurs publications connues relatent les évènements du 26 mai 1944. Présents dans la mémoire collective, évoqués au sein des familles, ces évènements sont un marqueur fort de l’histoire chambérienne. Les multiples articles de la presse locale, porte-voix des récits forts et poignants de témoins, n’en sont qu’un des nombreux symboles. Les principaux points peuvent être rétablis pour une clarification. 900 avions américains décollent de l’aérodrome la région de Foggia en Italie avec pour objectif de détruire les nœuds ferroviaires de plusieurs villes en France. A Chambéry, l’alerte est donnée à 9h 40. 35 minutes plus tard, les escadrilles volantes arrivent à l’ouest de Chambéry, 12 à 13 vagues de 30 à 40 avions survolent la région à une hauteur de plus de 3000 mètres. Les deux derniers groupes, composés de 72 bombardiers, B-24 Liberators, se détachent en direction de la ville pour y déverser 720 bombes. Deux largages de 30 secondes entrecoupés d’une demi minute suffisent à déverser plus de 163 tonnes d’acier et de feu : 90 secondes d’effroi s’abat sur les Chambériens. Un peu plus de 400 impacts sont répertoriés dans le bassin chambérien. Les premiers projectiles tombent sur la commune de Cognin et les derniers du côté de la Croix-Rouge. La grande majorité des bombes arrive donc sur la ville de Chambéry et une partie d’entre elles atteignent leur objectif : la gare de triage.

Avec des dizaines de locomotives détruites, une partie des voies ferrées inutilisables, des dépôts et autres infrastructures réduits à néant, l’opération n’est pas un échec. On dénombre 200 morts et plus de 300 blessés, sans oublier plusieurs dizaines de soldats allemands parmi les tués. On note de nombreuses victimes dans les immeubles, dans les rues, dans les caves mais aussi dans les tranchées. De l’imprudence d’une partie de la population pensant que l’attaque ne se porterait pas sur Chambéry, vu le laps de temps important s’écoulant entre l’alerte et le bombardement proprement dit, a pour conséquence un nombre élevé de décès. Les premières vagues d’avion poursuivent effectivement leur chemin en direction d’autres cibles sur le territoire français.

Les dommages matériels, qui s’étalent sur un axe de près de deux kilomètres, sont considérables au sein de la ville et le feu gagne de nombreux bâtiments dans plusieurs quartiers. Des pompiers arrivent de plusieurs communes de Savoie pour lutter aux côtés des sauveteurs chambériens. Malheureusement, les incendies ne sont pas tous éteins à la fin mai et des résidus de flamme persistent jusqu’à la mi-juin. Au total, plus de 10 hectares d’immeubles sont endommagés. En effet, quelques 889 appartements sont répertoriés comme sinistrés, et plus de 3000 sinistrés se retrouvent dans le besoin. Parmi les multiples destructions, citons quelques bâtiments emblématiques : la chapelle de la Visitation, l’internat du lycée de filles, l’usine à Gaz, l’usine de teinturerie, la société lyonnaise des véhicules électriques, le dépôt d’électrobus, le dépôt de charbon…

Bien évidemment, l’entraide et la charité se mettent en place. La cérémonie funèbre collective organisée pour 75 victimes, dès le 29 mai, dans la cathédrale de Chambéry offre un moment de communion et de recueillement pour la population. Le comité départemental de Secours facilite la récolte et la redistribution des dons aux victimes. Des repas sont distribués quotidiennement pendant plus d’une semaine en faveur des populations sinistrées. On sollicite rapidement les communes voisines de Chambéry afin de les accueillir. Il est même demandé aux détenus de la maison d’arrêt de Chambéry de participer aux opérations de désobusage en échange d’un dédommagement financier et/ou d’une remise de peine, voire d’une mise en liberté, ou encore d’un adoucissement du régime de détention. C’est en ce sens que René Truchet voit sa peine aux travaux forcés commuée en simple emprisonnement. Une quinzaine de détenus auront ainsi participé à ce programme.

Le travail de la défense passive est essentiel pour organiser et protéger les populations. Créée dès l’été 1938, elle tend à s’éteindre depuis l’armistice. Ce n’est qu’après le bombardement de Boulogne-Billancourt de mars 1942 qu’elle redevient un élément important du dispositif gouvernemental. Cette structure, placée sous la direction du préfet, permet de prendre en charge les urgences comme la prévention. Elle est dotée d’un budget conséquent pour répondre à ses différentes missions. Plusieurs services la composent : service d’alerte, service sanitaire, service de secours, service antigaz, service incendie, service de déblaiement, service des abris. La défense passive participe donc à la prévention des bombardements, grâce à des postes de guet chargés de prévenir du survol aérien ennemi au-dessus des agglomérations. Elle contrôle également l’éclairage public et privée, voire la circulation des véhicules. Très variable, le nombre des membres de la défense passive monte au point culminant de 552 personnes, un chiffre tout à fait révélateur de la capacité de la population, ici Chambérienne, à se mobiliser sous le gouvernement de Vichy. Dès le début de la guerre, face aux menaces des bombardements, le ministère de l’Education nationale et le conservateur des Beaux-Arts prennent des mesures dans le but de protéger les monuments historiques et autres objets à valeur patrimoniale. A Chambéry, des œuvres de la cathédrale et de la Sainte Chapelle sont ainsi répertoriées et protégées. Néanmoins, toutes ces mesures préventives et tous les efforts entrepris par les services de secours se heurtent à un problème structurant : les occupants contrôlent les systèmes d’alertes au dépend des autorités françaises. Suite au bombardement d’Annecy dans la nuit du 9 au 10 mai 1944, le préfet de Haute-Savoie s’en plaint auprès du Secrétaire général.

Ce sont les Allemands qui ordonnent la réquisition d’ouvriers pour participer dans les plus brefs délais au déblaiement de la gare. Les réquisitions d’hommes et de matériel se font dans les communes voisines. Il faut donc organiser les transports : cela concerne un nombre important de personnes, entre 80 et 90 hommes au début, provenant de lieux différents selon les jours de travail. Les travaux s’étalent sur le mois de juin, et les effectifs grimpent à plus de 150 individus. En octobre 1946, les autorités civiles s’occupent du règlement des sommes dues pour ces travaux.

Jusque-là, les bombardements importants se sont avérés rares sur le territoire savoyard. Notons que Chambéry et Aix-les-Bains, touchées au début de la guerre par une attaque aérienne, le 1er juin 1940, connaissent peu de dégâts malgré les cinq bombes atterrissant sur la première et onze autres sur la deuxième. On répertorie un seul mort et moins de 20 blessés. A l’automne 1943, la Maurienne est touchée à son tour. En Haute-Savoie, à trois reprises, la ville d’Annecy est également prise pour cible entre 1942 et 1944. Au début de la guerre, le territoire savoyard est heurté par des bombes allemandes, désormais ce sont des engins alliés qui s’abattent sur le sol français. Les Savoyards sont désormais habitués à la découverte d’engins explosifs, incendiaires, de ballonnets ou de largage de matériel. Des rapports de police notent régulièrement la présence de ces objets dans des communes savoyardes mais ils ne correspondent en rien à un bombardement massif. Par contre, leur découverte répétée, de plus en plus importante à partir de l’été 1943, dénote l’élargissement du champ d’action des forces alliées et leur maîtrise des airs.

Chambéry est bombardée le même jour que Nice, Saint-Etienne, Lyon et Grenoble. Dans ces villes, des centaines de victimes sont enterrées, des centaines d’habitations détruites, des populations sont endeuillées. Naturellement, les nœuds de communication ferroviaire sont visés. En ce printemps 1944, les troupes alliées avancent sur le front italien, la chute de Rome est pour bientôt. Première facteur d’explication : les bombardements sur Chambéry, puis sur Saint-Michel-de-Maurienne (4 juin) et sur certains ponts de l’Arc ont pour objectif de limiter les communications avec le front italien. Déjà le 11 novembre 1943, Modane et le tunnel deviennent les cibles de bombardements alliés. Autre fait très important : les alliés préparent une opération de débarquement dans le Sud de la France, qui aura effectivement lieu le 15 août. La XV US Army Air Force, celle là-même, qui a bombardé Chambéry n’est pas à sa première sortie au-dessus du sol français, car elle est en charge de préparer cette mission nommée « Anvil ». C’est pourquoi entre le 11 novembre 1943 et le 25 mai 1944, les villes de Marseille, Toulon, Istres, Salon, Montpellier, Ambérieu, Givors et Lyon, entre autres, voient les forteresses volantes américaines passer dans le ciel et larguer leurs bombes. Les objectifs ne varient pas, il s’agit toujours d’anéantir les installations navales, les aérodromes et les gares de triage. A cela s’ajoute la préparation de l’opération « Overlod ». A partir du mois de mars 1944, les bombardiers américains et anglais dirigés par Eisenhower et dans le but de préparer le débarquement de Normandie, se donnent deux objectifs : l’anéantissement de la Lutwaffe ou de ses capacités d’action, et la destruction des dépôts d’entretien des chemins de fer (communication) afin limiter les déplacements de troupes et de matériel allemand. C’est dans cet immense contexte d’opération stratégique des forces alliées qu’ont lieu les bombardements des 25, 26 et 27 mai. Ainsi, du 29 avril, date du bombardement de Toulon, au 10 août 1944, soit quelques jours avant le débarquement de Provence, l’armée de l’air anglo-américaine largue plus 12 500 tonnes de bombes sur le sud de la France. Le 25 mai, 238 tonnes de bombes provoquent 34 morts à Carnoules, 115 tonnes à Givors engendrent 38 victimes, sans oublier une quinzaine de morts enterrés à Vénissieux, 88 tonnes s’écrasent à Ambérieux, et plus de 1000 morts sont recensés à Saint-Etienne. Le lendemain, la capitale des Gaules est la cible de l’aviation américaine : plus de 700 morts sont comptés. 159 tonnes de bombe tuent 37 personnes à Grenoble, et la région de Nice-Monaco se retrouve dans le deuil avec presque 400 morts. Le 27 mai, les raids se poursuivent à Marseille provoquant plus de 1800 victimes, et en Avignon plus de 500 morts. Enfin, à Nîmes, on relève un peu moins de 300 tués. C’est dans ce cadre qu’il faut lire et comprendre le bombardement du 26 mai de Chambéry, évènement mémoriel important, qui s’inscrit pleinement dans la grande histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Qu’en pensent les Savoyards ? Une appréciation toujours difficile à fournir tant elle répond à des ressorts intimes, difficile à cerner et établir pour le plus grand nombre, une fois les témoignages particuliers évoqués. Ceci dit, à travers quelques grands traits, il est possible d’en supposer les contours. Les Alliés ont conscience de l’impact très négatif de leur bombardement, c’est pourquoi ils s’efforcent de justifier leur action par une propagande active : largage de tracts, discours radio... Si les rapports préfectoraux font état d’une anglophilie marquée au sein de la population, et un espoir grandissant de voir la chute allemande, il est indéniable qu’elle est de plus en plus contrebalancée avec l’augmentation des raids aériens et leurs violences. D’ailleurs, jusqu’en 1942, les bombardements sont largement acceptés par la population française. L’intensification de ces derniers, en 1943, ne retourne pas non plus l’opinion, mais tend à la rendre résignée et inquiète, d’autant que les départements savoyards étaient jusque-là largement épargnés. Pour cette raison, en août 1943, à Annecy, lors de l’inhumation des six aviateurs britanniques abattus après un parachutage à la résistance, quelques deux mille personnes se rassemblent au cimetière et entonne la Marseillaise sous les cris « vive l’Angleterre », « vive l’Amérique » ou bien « vive de Gaulle ». On souligne même une attitude plutôt positive au moment des bombardements qui occasionnent très peu de dégâts et dont les cibles s’avèrent bien identifiées : la gare de Modane ou l’usine de roulement à billes d’Annecy, par exemple. Par contre, les mécontentements sont plus nombreux face à l’ampleur des destructions civiles. Il est vrai que les 340 appareils qui bombardent la cité de Maurienne dispersent leurs engins sur une zone de 8 km2 et détruisent en partie la ville, évacuée des ces habitants. Un mois plus tard, une nouvelle opération menée par 313 avions britanniques, ne bloquent la circulation ferroviaire de la cité que pour quelques jours. Au total, on compte 70 morts au cours de ces deux opérations qui détruisent complètement Modane et Fourneaux. Avec l’augmentation des bombardements meurtriers dans le courant de l’année 1944, les réserves de la population vis-à-vis des Alliés augmentent, tout comme le désir d’une fin rapide du conflit et d’un effondrement de l’Allemagne. Dans le cas de Chambéry, la technique de bombardements lourds à haute altitude, n’est pas étrangère à la masse des destructions et des morts et par conséquent à l’affaiblissement du moral des populations. Les vies brisées, les souffrances amplifiées et le désespoir créé sont une réalité que l’historien ne peut évincer, mais qui demeure difficilement quantifiable. L’opinion est donc difficile à jauger : elle change et fluctue au grès des bombardements, mais aussi en fonction de l’évolution globale du conflit et des espoirs renoués. La distance que peuvent prendre certains Français vis-à-vis des alliés n’engage par pour autant à une adhésion en faveur du régime de Vichy. Les bombardements ne peuvent toutefois effacer la réalité du terrain, à savoir les débarquements en Afrique du Nord et en Italie, l’occupation brutale et totale de l’hexagone, les représailles meurtrières et les difficultés croissantes du quotidien.

L’utilisation des bombardements par les autorités, notamment celui de Chambéry, dans un but de propagande se dévoile également comme une réalité. Les Français sont présentés comme des victimes innocentes. C’est Philippe Henriot, collaborationniste convaincu, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande depuis janvier 1944, qui excelle dans ses discours à développer cet argumentaire. Les autorités ne cherchent pas à cacher ou minimiser l’ampleur des destructions dans le but de sauvegarder le moral des populations, mais au contraire, les utilisent afin de mieux dénoncer les « ennemis » d’une France non-combattante. Le préfet évoque dans son message officiel un « bombardement sauvage ». Par le biais des actualités officielles de Vichy, la propagande use pleinement des bombardements alliés, celui de Chambéry ne faisant pas exception. Ce dernier est d’ailleurs évoqué dans un petit film cinématographique. Cette vidéo est une production de France Actualités, société franco-allemande, qui prépare les petits documentaires de propagande diffusés en première partie au cinéma. Les images montrent de nombreuses destructions dans plusieurs villes, dont Saint-Etienne, Lyon et Chambéry. Une prise de vue, depuis la place des éléphants, est notamment utilisée pour évoquer la capitale savoyarde. Le commentaire parle « des forteresses volantes » qui lâchent « leurs bombes » sans jamais évoquer les objectifs ferroviaires, industriels ou militaires, ni montrer des images les illustrant. Il est précisé qu’« ils sont venus et ont lancé leurs engins de mort un peu partout, comme au hasard ... » et « certes parfois les voies ferrées ou les objectifs industriels ont été touchés, mais le plus souvent, les bombes n'atteignent pas leur but ». La propagande insiste sur l’absence de cible militaire ou stratégique dans les bombardements alliés, et sous-entend même que cela répond à la volonté d’éliminer un adversaire séculaire : la France. Le seul passage qui dévoile un train éventré évoque une rame de la région parisienne transportant des voyageurs. Et le commentateur précise qu’elle n’a pas été seulement bombardée mais également mitraillée. Dans son commentaire, la voix off insiste sur la tragédie des civils : « leurs bombes ne sont pas destinées aux ennemis des anglo-américain mais à la France, aux Français » ; « ce n'est pas seulement une maison de Lyon qui flambe, c'est la maison d'un Français, demain, ce sera peut-être la vôtre... ». Le vocabulaire n’est pas neutre, les bombardements sont qualifiés de « terroristes ». Il existe une volonté de mettre en opposition d’un côté la déclaration des évêques de France et Jeanne d’arc, et de l’autre les bombes des alliés, désignés comme « ceux qui se disent nos libérateurs ». Des bombardements dénoncés en tant que symbole de la « guerre moderne », « la nouvelle arme anglo-américaine ». A la fin du film, la phrase finale incarne à elle seule le discours de propagande véhiculé par le régime : « décimés, atterrés, affolés, assassinés des Français sans défense car n’ayons pas peur de mots c’est bien de l’assassinat ».

La reconstruction de Chambéry mérite une attention particulière. Symbole de cet après-guerre, ce renouveau architectural offre une nouvelle image à la ville et redonne ainsi vie à la société chambérienne. Cette reconstruction se terminera officiellement le 30 décembre 1961, bien qu’une dernière tranche soit encore réalisée en 1966.  

Il faut reloger les sinistrés dans les communes voisines ou en réhabilitant certains logements. Cependant, un an après le bombardement de nombreuses familles vivent encore dans des conditions difficiles. C’est pourquoi, la construction de logement provisoire est activée, plutôt à l’extérieur du centre, pour palier au déficit urgent d’habitation. On réalise certaines constructions à Bellevue, d’autres quai de l’Hyère ou quai de Rive voire sur l’avenue de la Boisse. De même, on réinstalle les nombreux commerces détruits dans des baraquements au centre ville. Les commerçants préfèrent souvent s’établir à proximité de leurs anciens locaux. Ceux de la rue Saint-Antoine recréeront leur rue sur le boulevard du musée, en se regroupant au sein d’un même abri et en disposant leur commerce de sorte à créer un passage central couvert. Pareillement, les services administratifs sont eux aussi installés dans des baraquements.

L’État, représenté par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (créé en novembre 1944) se substitue rapidement à la ville, et l’architecte grenoblois Jean-Paul Sabatou dirige le programme d’aménagement. Les moyens politiques et financiers sont de toute manière prévus pour reconstruire les villes sinistrées. Un plan général d’aménagement de reconstruction doit dans un premier temps être approuvé. La reconstruction se concentre sur un quartier particulièrement touché, qui se situe entre la place des éléphants, le palais de justice et les Halles. Il s’agit de raser une bonne partie des bâtiments, même si certains paraissent réparables, tout en conservant les plus structurants : celui des Dames de France (maintenant Galeries Lafayettes), le musée-bibliothèque et l’église. Afin de maîtriser le réaménagement de la ville un important remembrement s’avère indéniablement indispensable, le parcellaire étant extrêmement émietté. On passe de plus de 200 parcelles à seulement 21, ce qui facilite grandement la construction de grands immeubles et d’avenues plus larges au grand bonheur de la circulation automobile qui bénéficiera, en outre, d’un raccordement au grands axes routiers du centre ville. C’est aussi l’occasion de travailler sur l’amélioration de l’assainissement.

Intégré au sein de l’ancienne ville, ce quartier se caractérise par des rues étroites et irrégulières, à l’image du reste de la vieille ville, encore existante aujourd’hui. Une question se pose alors : comment reconstruire ? La rue de Boigne, partiellement détruite, est reconstruite à l’identique sous les recommandations de l’architecte en chef des monuments de France car il a été envisagé, notamment sous la demande des commerçants, de pouvoir élargir la rue afin de favoriser l’accès automobile. Mais pour le reste, de nombreuses transformations sont apportées.

La reconstruction est lente, elle commence plusieurs années après le bombardement, en 1948, et certains immeubles sortent de terre quinze ans après. Les derniers commerces seront construits en 1966. La pénurie de main d’œuvre et de matériaux se fait sentir aux lendemains de la guerre, et participe donc à ralentir les travaux. A cela, s’ajoute un type de sol particulier, car situé au-dessus d’une nappe d’eau assez haute. Mais après avoir gommé les affres de la guerre, un nouveau visage de Chambéry peut alors se dévoiler, celui de l’après-guerre.

Romain Marechal